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Jeunes parents

Gestation pour autrui : entre liberté (des unes) et désir d’enfant (des autres)

par Xénia Maszowez publié le 18 juillet 2017 ©Zoé Borbe (Son Tumblr)

La « gestation pour autrui » (GPA) est le fait de porter un enfant à la demande d’une personne ou d’un couple qui en deviendra le-s parent-s. Cela implique actuellement que la femme qui a porté cet enfant renonce, pour sa part, à exercer la fonction parentale. Penchons-nous quelques instants sur la situation de celles que l’on appelle souvent « mères porteuses ».

La situation en Belgique

En Belgique, aujourd’hui, bien qu’aucun texte de loi ne règle la question de la GPA, il s’agit pourtant d’un phénomène existant. Celui-ci peut prendre deux formes.

  1. Tout d’abord, il existe ce que l’on appelle la GPA « de haute technologie », qui est pratiquée dans un contexte médicalisé. En Belgique, quatre centres hospitaliers la pratiquent : le CHR de la Citadelle – Liège, Le CHU Saint-Pierre (Bruxelles), l’UZ Gent (Gand) et l’Hôpital universitaire d’Anvers (UZA).
  2. Ensuite, lorsqu’il n’y a pas d’intervention médicale, on parle de GPA « artisanale » ou « de basse technologie ». Dans ces cas-là, une femme ayant accepté d’être mère porteuse effectue une (auto)-insémination, à l’aide d’une seringue remplie de sperme.

Par ailleurs, certains font appel à des mères porteuses à l’étranger.

Pour aller plus loin :Rapport d’information concernant l’examen des possibilités de créer un régime légal de coparentalité - Senat Belge

La GPA dans un cadre commercial exploite le corps des femmes

"Autoriser la GPA dans un cadre commercial implique inévitablement que les femmes les plus précarisées subissent une pression accrue pour mettre leur corps à disposition d’autrui au bénéfice de tiers qui s’enrichissent à leurs dépens".

La GPA « commerciale » revient à faire de l’activité de mère porteuse un métier, une activité
lucrative. Autoriser la GPA dans un cadre commercial implique inévitablement que les femmes les plus précarisées subissent une pression accrue pour mettre leur corps à disposition d’autrui au bénéfice de tiers qui s’enrichissent à leurs dépens.

Dans notre pays, s’il est vrai que ni la pratique actuelle, ni les différentes propositions de loi ne défendent ce modèle, cela n’empêche pas certains de faire appel à une mère porteuse en Inde, aux Etats-Unis ou en Ukraine, favorisant de cette manière l’exploitation du corps des femmes en dehors de nos frontières. En outre, à deux reprises, des « bourses aux mères porteuses », portées par des organisations américaines se sont déroulées à Bruxelles. La première édition, en 2015, ayant même pris ses quartiers dans les locaux du BIP (Maison de la Région bruxelloise).

La GPA limite les libertés des femmes

Les projets de lois qui ont vu le jour pour légiférer la GPA en Belgique sont problématiques car ils limitent les libertés des mères porteuses. En effet, la mère porteuse devrait signer une convention avec les parents d’intention qui réglementerait sa vie durant toute la grossesse. Ce texte pourrait par exemple décider des examens médicaux et psychologiques à subir, du mode d’accouchement (césarienne ou voies naturelles), de la date jusqu’à laquelle la mère pourra quitter le territoire, de sa consommation de tabac, de son alimentation (consommation d’alcool, vitamines … ), de sa sexualité (interdiction d’avoir des relations sexuelles non-protégées en cas de changement de partenaire en cours de grossesse), de son activité sportive ,…

Ce type de dispositions, tout comme le fait de laisser à des tiers la possibilité de participer à la décision en matière de poursuite ou d’abandon de la grossesse constituent une atteinte inacceptable aux droits des femmes. Toute femme est seule décisionnaire en ce qui concerne son corps. Aucune convention ne peut obliger une femme à poursuivre une grossesse si elle ne le désire pas (ou plus) ou a contrario, à l’interrompre si elle souhaite la poursuivre (exemple : des parents d’intention qui souhaiteraient mettre fin à la grossesse parce que le fœtus présente un handicap).

"Les mères porteuses doivent jouir des mêmes droits que n’importe quelle autre femme (c’est-à-dire, décider seules). Toute autre option reviendrait à en faire des citoyennes de seconde catégorie".

Même les médecins qui pratiquent aujourd’hui la GPA et qui sont convaincus de respecter ce principe de liberté, le mettent en réalité à mal. Un médecin de Saint-Pierre expliquait dernièrement publiquement lors d’un colloque que le protocole de son service prévoit une discussion entre la mère porteuse, l’équipe médicale et les parents intentionnels sur les comportements admis/souhaités pendant la grossesse. Pour ce médecin, le fait que la femme s’engage de manière libre à respecter certains principes/adopter certains comportements  suffit à considérer que sa liberté est respectée.

Or, le simple fait que des tiers participent à cette discussion est déjà problématique en soi. Les mères porteuses doivent jouir des mêmes droits que n’importe quelle autre femme (c’est-à-dire, décider seules). Toute autre option reviendrait à en faire des citoyennes de seconde catégorie.

Le principe de filiation

Il est imaginable qu’une femme puisse changer d’avis en cours de grossesse, lors de l’accouchement ou même après. C’est pour cela qu’une femme ayant porté un enfant dans le cadre d’une GPA devrait être considérée comme la mère de cet enfant lors de la naissance et devrait avoir la possibilité de faire marche arrière et de renoncer à céder l’enfant durant un délai imparti. Ce n’est qu’après cela que la filiation avec les parents d’intention devrait pouvoir être établie, à condition que la mère porteuse ne renonce pas à être la mère de l’enfant.

La GPA, un positionnement éthique complexe

"Les femmes doivent avoir le droit de disposer librement de leur corps. Mais cette affirmation, qui va de soi pour toutes les féministes lorsqu’il s’agit de contraception ou d’avortement, n’est pas si simple lorsqu’on parle de GPA".

Les femmes doivent avoir le droit de disposer librement de leur corps. Mais cette affirmation, qui va de soi pour toutes les féministes lorsqu’il s’agit de contraception ou d’avortement, n’est pas si simple lorsqu’on parle de GPA.

  • Certain-e-s considèrent que la GPA constitue par essence une exploitation, une instrumentalisation du corps des femmes. Ces dernièr-e-s rejettent donc la GPA de manière absolue.
  • D’autres considèrent que la liberté de disposer de son corps est absolue et inclut le fait de pouvoir considérer son corps comme un capital. Ce point de vue légitime donc des pratiques comme la GPA commerciale et la prostitution.
  • La troisième voie consiste à considérer que la GPA librement consentie et effectuée dans un cadre non commercial est possible et acceptable. Cela rejoint la position d’Elisabeth Badinter qui affirme être pour la GPA éthique.

Les femmes ne sont pas au service des couples en désir d’enfant

Les propos tenus autour de la GPA deviennent réellement problématiques lorsqu’ils illustrent parfaitement la vision utilitariste qu’ont certains du corps des femmes. Pour ceux-là, la fin justifie les moyens. Les femmes qui acceptent de porter leur enfant sont payées (quel est donc le problème ?), ne sont pas libres de disposer comme elles le souhaitent de leur corps durant la grossesse (mais elles ont signé un papier qui dit qu’elles sont d’accord, quel est donc le problème ?) et ne font que contribuer à réparer une injustice fondamentale (voire une domination des femmes sur les hommes, ces derniers ne disposant pas d’un utérus pour leur permettre d’exercer leur droit à avoir un enfant).

Cette position (totalement assumée par certains) instaure un glissement dangereux entre désir d’enfant et droit à l’enfant. Elle s’inscrit par ailleurs pleinement dans une vision néolibérale de la société ou la loi de l’offre et la demande justifie tout. 

Si philosophiquement parlant, il peut être concevable d’inclure la volonté de certaines femmes de porter un enfant pour autrui dans le champ de la liberté de disposer de son corps, force est de constater que la GPA éthique constitue un concept bien fragile, à la merci d’une série de dérives difficilement maîtrisables. Ce concept semble ne pas pouvoir résister à la force des pressions mises en œuvre sur les femmes dans le cadre de la GPA.

Légiférer en faveur de la GPA en Belgique ne permettra (probablement pas) de contrer le recours à la GPA commerciale à l'étranger

Le fait de légiférer est avancé par certains comme un moyen de diminuer ou d’éliminer le recours de certains à la GPA commerciale à l’étranger (Inde, USA, Ukraine,…).

Que l’on légifère ou pas, les critères d’accès à la GPA en Belgique sont (déjà aujourd’hui) strictement cadrés et bon nombre de demandes sont refusées par les équipes pluridisciplinaires des hôpitaux pratiquant la GPA pour différents motifs.

Certaines personnes ou couples débouté-e-s se tournent  alors vers la GPA commerciale à l’étranger. Une loi belge ne changerait vraisemblablement rien à cet état de fait et ceux qui en ont les moyens financiers continueraient probablement à se tourner vers l’étranger.

Quoi qu’il en soit, si une loi devait voir le jour, il est crucial de veiller à ce que les principes relatifs au respect absolu de la liberté des femmes soient pris en compte et constituent les balises indiscutables de la pratique de la GPA.

Pour aller plus loin :Lire l'analyse complète
Travail, genre et société- "La gestation pour autrui, un débat féministe ?"
Les Terriennes - "Des associations féministes pour l'abolition de la GPA"
Revue Nouvelle "GPA : « gestation pour autrui » ou gestion d’autrui ?"
Chronique féministe - "Mères Porteuses et GPA" (payant)
Tags : éthique - enfant - parentalité - Famille
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