Culture
Grand entretien avec la chanteuse et bassiste Manou Gallo
par Joëlle Sambi Nzeba publié le 27 avril 2018
Pour Manou Gallo, jouer d’un instrument est bien plus qu’un hobby, un travail ou une passion. La musique est pour cette artiste de renom, un moyen d’expression vital, mais surtout, une d’une façon d’exprimer son positionnement et son engagement dans la lutte qu’est le féminisme.
Rencontre avec une musicienne pas comme les autres.
Pour les gens qui ne vous connaissent pas, qui est Manou Gallo?
Une femme née en Côte d’Ivoire, il y a très très longtemps (rires) et qui a commencé la musique à l’âge de 8 ans en jouant aux tambours. Je viens du Centre Ouest de la Côte. Là-bas, en général, les femmes n’ont pas le droit de jouer aux tambours.
Si la femme que je suis aujourd’hui est plus réléchie, la petite fille que j’étais, était une fonceuse. Je n’avais peur de rien, malgré tout le respect que je portais aux miens, et en particulier à ma grand-mère, je n’avais peur de rien. J’ai été élevée par cette dernière, et elle m’a toujours soutenue et beaucoup encouragée.
Mon histoire commence en Afrique un jour où le batteur n’était pas là. Pour les mariages ou les décès, il y a de la musique et un batteur de tambour attitré. Tout ce que je voulais, c’était monter sur un tabouret et jouer, alors j’y suis allée. Les gens ont trouvé ça très bizarre. Après ça, on m’a traité de « petite sorcière » mais ma grand-mère m’a soutenue et j’ai continué, jusqu’à intégrer le groupe WOYA dans les années 80. C’était un groupe qui a cartonné en Afrique.
C’est là que je découvre les instruments pour la première fois: la batterie, la guitare et mon intérêt pour les instruments ne m’a plus jamais quitté.
On remarque sur vos photos que vous êtes rarement sans guitare. Est-ce important pour vous en tant que femme d'en jouer?
« À l'âge de 8 ans je commence à braver les interdits. Jouer aux tambours à l'âge de 8 ans dans mon village faisait que, quelque part, je changeais quelque chose. En tout cas, je n'avais pas mesuré à quel point, ce seul acte-là était exceptionnel et à quel point il allait être déterminant et faire de moi la femme que je suis aujourd'hui. C'est certainement ça qui fait que dans mon quotidien, dans ma pratique artistique, les problématiques spécifiques aux femmes, même sans "le vouloir", me touchent beaucoup.»Oui, j’ai un rapport énorme aux instruments. Quand tu es une femme, et que tu joues d’un instrument, si tu le maîtrises, il y a de fortes chances pour que tu sois plus sollicitée qu’un homme. Je me rappelle quand je suis arrivée ici en Belgique, je ne maîtrisais pas trop la basse mais j’avais un charisme ce qui m’a permis de rentrer dans le célèbre groupe Zap Mama. J’ai beaucoup appris avec les années et je suis passée de la percussion à la basse, tout simplement parce que la basse est harmonique et rythmique.
Je développe une réflexion sur comment jouer de la basse de manière plus rythmique, c’est à dire, en jouer comme on joue sur un tambour.
Cela fait 2 ou 3 ans que je travaille à cette technique et ça avance bien.
Il est donc possible d'être plus sollicitée qu'un homme dans le milieu des musiciens ?
Bien sûr. Mais ça reste difficile, parce que je suis africaine et qu’en général, une femme noire, africaine, on attend d’elle qu’elle soit danseuse voire chanteuse. Mais, avec Zap Mama, je suis rentrée dans une super équipe ! J’avais 24 ans, on voulait changer le monde et il y avait ce charisme qui était là donc je m’en suis servie.
Votre parcours en solo est important mais aussi en bande avec les Women band, les Zap Mama et maintenant le Manou Gallo groove orchestra
Oui il y a aussi Music Machine avec lesquels j’ai été à Abidjan pour un festival. C’était quelque chose qui me tenait à coeur : retourner en Afrique et partager mon expérience avec les jeunes. Ce fut une très chouette expérience de monter un festival en Afrique, beaucoup de stress mais quand ça réussit c’est formidable ! Il y avait des workshops et des rencontres avec des jeunes musiciens. C’était chouette, épuisant, à la fin je n’avais plus de voix mais j’étais contente de l’avoir fait !
Avez-vous des figures ou des influences? Votre musique mélange beaucoup de genres, comment choisissez-vous pour vos projets ?
La première personne qui m’influence c’est la petite fille qui jouait aux tambours…
C’est elle qui a déterminé la musicienne que je suis aujourd’hui. Ensuite, j’aime la technique de Victor Wooten à la basse, le son de Marcus Miller et la sensualité de Richard Bona. Richard Bona a le don de tout faire paraitre normal alors que c’est tellement compliqué… Donc, je veux retrouver ces trois bassistes en moi, je pense que ce sera du feu !
Après vos nombreuses réussites vous montez votre groupe "Djiboi", n'est ce pas un pas de plus dans votre évolution féministe?
Si absolument. C’est pour ça que je dis toujours que je préfère les actes aux paroles parce que tout est très logique quand on suit mon évolution. J’ai également participé à une pièce qui parle des héroïnes féminines en Afrique, des femmes qui ont bravé l’interdit, c’est très contemporain. Le théâtre c’est quelque chose qui me plait quand il y a une vraie thématique derrière. Je suis musicienne dans cette pièce mais je sors un peu de mon cadre.
C’est ça d’être féministe, poser des actes pour montrer que les femmes existent parce qu’il ne suffit pas de dire « oui je suis féministe »…