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Culture

Les femmes dans l’art

Article mis à jour le 7 juin 2018

Lisette Lombé, la puissance du slam

par Marie-Anaïs Simon publié le 6 juin 2018 © Manon Royer

Un jeudi après-midi ensoleillé, je rencontre la slameuse et autrice Lisette Lombé à la terrasse d’un café. Lisette a créé l’association « L slam ». Elle me raconte son parcours et la puissance de la poésie.

Quelles sont pour toi les forces de la poésie et des métaphores ?

"Quand je capte que j’ai une singularité dans ma voix, quand j’assume mes mots, quand je laisse part à la partie la plus créative de mon être, dans mon quotidien, ça me donne une autre vision du monde et de sa complexité".

Je pense que cela permet de révéler la singularité des voix. Ce que je sens dans la poésie c’est qu’on a été formaté dans un langage. On a la conjugaison, la grammaire, le dictionnaire, le Bescherelle. On a tout ça qui est commun. Ce qui est beau c’est qu’à l’intérieur de tout ça, on a la liberté de recréer des mots, recréer des phrases, des choses mêmes agrammaticales… On peut tout faire  ! Selon moi, cette liberté au sein de la langue, ça se transfère un peu dans nos vies. Il y a quelque chose de transversal. Quand je capte que j’ai une singularité dans ma voix, quand j’assume mes mots, quand je laisse part à la partie la plus créative de mon être, dans mon quotidien, ça me donne une autre vision du monde et de sa complexité. Le verbe, ça donne de la force aussi. Parfois, avec l’association « L-Slam », on accompagne des femmes qui viennent avec des témoignages bruts de violences conjugales, d’inceste, etc. À partir de ces témoignages bruts, on va commencer à travailler la langue en injectant la métaphore, les sonorités, pour que les témoignages soient audibles et partageables. On va en fait essayer de toucher une porte qui nous permet de rentrer par le cœur, de toucher largement. On travaille ça avec les femmes pour qu’elles puissent être entendues. La mise à distance par le travail du texte, ça permet de partager quelque chose. On passe du « je » au « nous ». Quand tu viens dire « je » sur scène avec la poésie, c’est un « nous » en fait.

Est-ce que cela permet aussi de passer un message plus politique ou plus global ?

"Parfois, ce qui fait l’engagement c’est la présence des femmes sur la scène et la pluralité des voix".

En slam, hormis la règle des trois minutes, à l’intérieur tu peux faire ce que tu veux : rime, prose… Il n’y a pas d’obligation de t’attaquer à un sujet sociétal !

Parfois, ce qui fait l’engagement c’est la présence des femmes sur la scène et la pluralité des voix. Le slam, c’est un micro ouvert où tout le monde peut venir  ; que tu sois grand poète édité ou que tu viennes pour la première fois. C’est un espace artistique très démocratique… sauf que je me suis rendue très vite compte qu’il n’y avait pas eu de questionnement sur la manière dont les gens arrivent devant le micro ouvert. Avec mon association, « L-Slam » on a commencé à se questionner sur « comment les gens arrivent-ils ? », en se demandant quels pourraient être leurs freins. Si c’est toujours organisé de telle sorte à ce que tu passes ton texte à 22h, il faut être à l’aise avec l’espace public la nuit et cela élimine plein de gens pour des questions de mobilité, d’autorisation de sortie… Nous on bosse avec des mères célibataires qui ne vont pas sortir en semaine, car se pose, notamment, la question de la garde des enfants.

"Un homme, généralement, il envoie la sauce. Mais une femme, si elle fait la même chose, on va la traiter d’hystérique, de colérique… On travaille là-dessus".

On doit travailler aussi sur la réception de la parole. Pour être juste scéniquement, si tu fais de la poésie engagée, tu dois être physiquement engagé-e. Donc un homme, généralement, il envoie la sauce. Mais une femme, si elle fait la même chose, on va la traiter d’hystérique, de colérique… On travaille là-dessus. Pas sur comment on minore les textes, mais plutôt sur comment on assume chaque mot et comment on va assumer le fait de, pour être juste scéniquement, postillonner, transpirer, faire une sale gueule… Moi je pense que les femmes ont un travail à faire en plus là- dessus ! C’est aussi reconquérir l’espace. Si tu es éduquée à toujours serrer ou croiser les jambes alors que sur scène tu dois avoir les jambes écartées pour prendre ta place, ça demande un travail d’apprivoisement de l’espace et d’autorisation, même dans la posture. Du coup, quand les femmes montent là sur scène, leur présence est très politique. Parce que ça a demandé une réflexion en amont, ça a demandé un travail de confiance et de légitimité.

Et tu ressens fort cela dans les ateliers que tu animes ?

"En écriture, il y a 98 % de femmes, tout le monde y va de sa plume, etc. Et puis, en slam, elles disparaissent ".

Complètement ! D’ailleurs, je le vois parce que j’organise des ateliers d’écriture et des ateliers slam. En écriture, il y a 98 % de femmes, tout le monde y va de sa plume, etc. Et puis, en slam, elles disparaissent. Ça dépend des scènes et des thématiques de scène, mais on est toujours à moins de 50 % (des fois c’est 25%, des fois c’est 30%). L’autre jour, j’ai un collègue qui m’a appelée et qui m’a dit qu’il l’avait même dit au micro qu’ils étaient à 50-50. Le fait qu’il le dise au micro ça veut bien dire que ce n’est pas quelque chose d’habituel.

Quand on va en compet’, dans les championnats de slam, il y a encore moins de femmes. Mais ce qui est en train de se passer c’est que depuis quelques années, il y a une championne de Belgique, une championne d’Europe et une championne du monde. Donc en fait, celles qui y vont ont capté les codes, elles se les réapproprient et elles viennent avec des thématiques neuves et des hybridations de genre : c’est-à-dire chant et slam ou danse et slam. Et aussi ce qui régénère le slam, c’est qu’elles le sortent de ces lieux-là. Elles vont programmer à des heures, des moments et des modalités qui nous conviennent.

Il y a un vrai travail en amont qui nous est parfois contesté. Parce qu’il y a le mythe de l’égalité acquise qui se transfère dans l’espace scénique et slam. Comme les gens voient des individualités fortes, parce que les filles qui montent sur scène le sont, ils se disent que tout le monde peut monter sur scène qu’il n’y a pas de problèmes.

Son parcours

©Bouchra Draoui

Professeure de français, formatrice en insertion socioprofessionnelle, job coach et animatrice dans un mouvement féministe, Lisette a parfois l’impression d’avoir vécu plusieurs vies. À la suite d’un burn out en 2015, elle se réoriente vers quelque chose de plus artistique. Après avoir été invitée à partager un texte de poésie sur scène, elle sent que c’est là sa juste place. Il n’y aura pas de retour en arrière. Encouragée par une metteuse en scène présente dans le public, elle participe à un concours. Parmi le jury, il y a des éditeurs et des programmateurs. Elle accède à la deuxième place du concours.  Elle a aujourd’hui publié deux ouvrages : La Magie du Burn Out et Black Words.

 

La Magie du Burn Out

"Le livre parle de résilience individuelle et de reconstruction dans la douceur et la bienveillance".

Le premier est un ensemble de lettres. « Mon idée c’était d’entrer dans un dialogue poétique avec le lecteur ou la lectrice. C’est comme si je m’adressais à la personne qui lit le livre. Il y a de la poésie dedans, il y a du collage, il y a des invitations et des exercices d’écritures aussi ». Lisette m’explique qu’elle l’a écrit presque d’un jet au cours de la première semaine où elle a été diagnostiquée du burn out. Elle sentait qu’elle devait faire quelque chose de ce qui lui arrivait. Le livre parle de résilience individuelle et de reconstruction dans la douceur et la bienveillance. Il veut redonner espoir et réinjecter un peu de foi dans les potentialités. « Quand on sort du burn out on est avec un sentiment d’incompétence, beaucoup de culpabilité, on est à plat ». Le livre essaie donc de réenchanter tout cela.

Black Words

Le deuxième ouvrage est également un mélange de texte et de collage. Il aborde la question du métissage et ses identités belgocongolaises. Il démarre, comme elle a commencé le slam. Le premier texte « qui oubliera », relate sa première montée sur scène : une agression raciste dans un train. Entre sentiment d’écartèlement et acceptation du métissage comme une troisième identité, quelque chose à créer, le livre évolue. Elle s’y questionne également sur son héritage congolais et sur ce qu’elle va transmettre à ses enfants (qui sont physiquement blancs, mais qui ont un quart de sang noir).

La poésie au coeur de son activité

Aujourd’hui, la poésie est clairement le fil rouge de toute son activité. Elle donne des formations de prise de parole en public et de charisme oratoire où elle utilise le slam. Elle fait de la scène, des animations dans les écoles, beaucoup dans les associations (où le médium slam est utilisé comme outil d’empowerment), et des conférences – dont la conférence gesticulée « la magie du burn out ».

Tags : art - Féminisme