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Culture

Article mis à jour le 25 février 2020

LIVRE – Le corps d’après

par Eva Cottin publié le 20 février 2020 (c) François Bourin

Le corps d’après. D’après quoi ? Après l’accouchement. Mais aussi le corps d’après le sexe. D’après la mort. D’après l’enfance. Le corps d’après la peur, la douleur, l’humiliation. Le corps d’après l’amour, le partage, la réconciliation. Dans ce monologue à la première personne, qui alterne récits du passé et immersion dans un présent haletant, Virginie Noar nous livre les ressentis et les pensées à l’état brut d’une mère en devenir.

Chercher à faire comprendre les violences gynécologiques et obstétricales, la bataille intérieure avec les normes sociales qui nous font perdre de vue nos désirs propres, le rapport ambivalent au corps et à la maternité, le sentiment de ne plus s’appartenir quand on est une femme qui enfante dans cette société patriarcale : Virginie Noar le fait, dans un style prenant, avec des mots ancrés dans son corps, incarnant ses émotions et sensations.

La narratrice navigue entre aveu de vulnérabilité, partage de doutes et de craintes, et sensation de puissance et de confiance. Cette alliance complexe de sentiments contradictoires s’oppose au simple « C’est que du bonheur », phrase rituelle qui revient dans les discours normatifs sur la maternité, refrain creux qui refait régulièrement surface au fil des pages, au fil des émotions, des sensations et des réalités pratiques. Alors que finalement, le bonheur qu’elle finit par ressentir, elle-aussi, n’a rien à voir avec celui que les injonctions sociales lui dictaient de mimer.

Elle ne tait pas les violences vécues au cours de la vie, qui ont infléchi sa trajectoire et imprimé son caractère de diverses manières : la pauvreté, la maltraitance, le mépris de classe, la rencontre d’hommes pervers ou violents, le racisme discret mais présent, venant renforcer le vécu en tant que « femelle », sans cesse rappelée à ce qu’elle devrait être. Elle ne cache pas non plus aux lectrices∙teurs son rapport passionné au sexe, son désir obsédant, ses plaisirs et sa jouissance, qui lui font se demander par moments si c’est bien convenable pour être une bonne mère.

Ne pas suivre les instructions du médecin pendant la grossesse pour pouvoir jouir encore, mais se demander si elle est par là une mère indigne ; vouloir accoucher naturellement à la maison puis se précipiter à l’hôpital aux premières douleurs par peur de mourir ; regretter la violence de certain·e·s médecins et ne plus savoir comment se réapproprier son corps après ; refuser sans remords l’allaitement pour garder liberté et contrôle, puis quelques semaines plus tard se raviser en raison de l’expérience faite d’un lien différent avec sa fille et son corps ; se demander si elle veut avoir un corps sexuel et désiré parce qu’elle aime ça, ou parce qu’on le lui a dicté : sans donner pourtant une impression de lourdeur, de forcé, ou de larmoyant, ce récit est une bombe de thématiques au cœur du féminisme.

Faire exploser les tabous autour du corps, confronter la volonté d’émancipation et la peur de mal faire, dévoiler ses contradictions et ses changements d’avis, décortiquer la lutte menée contre les attentes sociales, montrer son désarroi face à l’expérience inédite de l’accouchement, se montrer humain∙e, en quête d’une manière propre de vivre et ressentir les choses : tout y est, sincère et puissant, jusqu’à la colère, la joie et la réappropriation. La narratrice trouve le moyen de sortir d’une dichotomie simpliste nature/culture. Elle réapprend son corps, les instincts, les besoins, les aspirations, sans se ranger dans un camp ou dans l’autre, sans se définir femme en fonction de son utérus, dénonçant une médecine patriarcale mais sans rejeter en un bloc le monde médical.

Finalement, elle ne donne ni conseils ni réponses : elle encourage juste chacun∙e à se poser des questions sur son rapport aux normes sociales de genre, qui ressurgissent de plus belle lorsque naît un enfant. Des questions qui émergent, non de livres arides et amphithéâtres d’université, mais du corps même, du corps vivant, transformé et transformant.

Une lecture que l’on recommande fortement à tou∙te∙s, pour ses qualités littéraires comme pour sa réflexion féministe !

Le corps d'après - Virginie Noar - Edition François Bourin, 2019 Tags : grossesse - corps - livre - Critique - Maternité
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