Militance
Manal Al-Sharif – La route vers la liberté
par Romane Schyns publié le 27 avril 2018
L’Arabie Saoudite est une monarchie islamiste ultra conservatrice. La loi, les traditions et les coutumes du pays sont issues du wahhabisme, mouvance radicale de l’Islam. Dans ce pays, les femmes sont juridiquement considérées comme des êtres inférieurs aux hommes. Ainsi, de leur naissance à leur mort, elles sont traitées comme des mineures, et doivent absolument être sous la protection d’un gardien – père, frère, mari. Quoi qu’elles désirent faire, elles doivent obtenir la permission de cet homme. Sortir ? Gardien. Louer une chambre d’hôtel ? Gardien. Voyager, faire des études, déménager ? Gardien. En juin 2018, elles devraient pourtant se voir accorder le droit de conduire ! Une avancée, certes minime, mais symboliquement forte, qui n’aurait pas été possible sans une grande femme : Manal Al-Sharif.
Un désir de liberté

Manal Al-Sharif est Saoudienne, informaticienne diplômée, mère de famille divorcée. Bonne élève, elle a toujours tout mis en œuvre pour respecter les moeurs et les croyances de son pays : port constant du voile, autorisation d’un tuteur pour toute activité, et rangement de sa voiture au garage, alors qu’elle a obtenu un permis international lors d’un voyage professionnel aux Etats-Unis*.
Bien qu’elle ne se discute pas la situation des femmes, la question des transports lui pose un réel problème. En tant que divorcée, il lui est financièrement difficile de se payer un chauffeur ou un taxi. Elle doit tous les jours se démener pour trouver quelqu’un qui la conduira jusqu’au travail. Lorsqu’elle n’y parvient pas, elle marche, mais la situation est insécurisante. En effet, une femme non accompagnée est sujette au harcèlement sexuel. Entre klaxons, insultes et parfois terreur lorsqu’un homme la suit, la situation devient invivable.
L’interdiction repose uniquement sur des traditions et sur une étude menée par un professeur d’université, musulman extrémiste, Kamal Subhi.En discutant de ces difficultés avec un collègue, elle réalise qu’il n’y a aucune loi interdisant aux femmes de prendre le volant. L’interdiction repose uniquement sur des traditions et sur une étude menée par un professeur d’université, musulman extrémiste, Kamal Subhi. Dans cette étude, il affirme que selon des chiffres de l’UNESCO, les pays possédant le plus grand pourcentage de viols, d’adultères, de consommation de drogue, d’enfants illégitimes et de prostitution, sont les pays où les femmes peuvent conduire. Pour pallier cela donc, le Conseil de Choura (Assemblée qui rédige, modifie, annule les lois, en Arabie Saoudite) a décidé de mettre en place une interdiction, faisant de l’Arabie Saoudite le seul pays au monde, où les femmes ne peuvent pas conduire. Beaucoup de musulmans extrémistes partagent cette vision, et voient en « l’influence occidentale », un risque majeur au respect des traditions d’un pays.
Passage à l’acte
Fatiguée de la situation, Manal décide de mettre en place une campagne, invitant les femmes du pays à prendre le volant, pour faire constater au Roi à quel point la situation est ridicule, d’un point de vue social et économique. En effet, interdire aux femmes de conduire, les empêche de travailler, de participer aux payements de taxes, …. Elle décide alors d’emprunter la voiture de son frère, et de la conduire, pendant qu’il la filme. Elle poste la vidéo sur YouTube, et le résultat est immédiat. En une seule journée, la vidéo reçoit plus de 700.000 vues, et Manal se fait arrêter, pour « conduite, en étant une femme ». Elle reste en prison 9 jours.
Pendant ce temps
Sa vidéo fait le tour du monde, et fait d’elle une femme au double visage. Partout dans le monde, elle est une héroïne, militant pour les droits des femmes. Par contre, dans son pays, elle est une traitresse, menacée d’être fouettée en public. Les médias locaux trouvent toutes les excuses pour créer des rumeurs et mentir sur ses actes, afin de détruire sa vie, et de calmer les ardeurs de quiconque tenterait de la suivre.
Malgré cela, une fois sortie de prison, elle ne lâche pas son combat. Elle lance sa campagne, et le 17 juin 2011, elle réussit à faire sortir des centaines de femmes sortent dans les rues, à bord de leurs voitures, sans qu’aucune d’entre elles ne se fasse arrêter.
Un succès sociétal, aux lourdes conséquences
« [Manal] a permis aux femmes de son pays d’acquérir un semblant de liberté, et d’ouvrir la voie vers leur indépendance.»Les diffamations, les menaces de mort et de viol finissent pas pousser Manal et son frère à quitter leur travail, à déménager et à quitter le pays. Elle est également séparée de son petit garçon de 6 ans. Malgré tout, la militante ne regrette pas ses actes. Au contraire, elle a permis aux femmes de son pays d’acquérir un semblant de liberté, et d’ouvrir la voie vers leur indépendance.
Grâce à son combat, une loi sera mise en œuvre en juin 2018, abolissant l’interdiction aux femmes de conduire. Même si cela constitue une avancée, les femmes ont encore énormément de droits à gagner là-bas. Mais c’est un premier pas symbolique et important qui a été franchi par cette militante. Retenez son nom : Manal Al-Sharif.
Pour aller plus loin :Une Saoudienne qui a osé conduire - TEDSaoudiennes condamnées au silence
Site de Manal Al-Sharif (anglais / arabe)
Oslo Freedom Forum