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Article mis à jour le 13 janvier 2020

« Pick up artist » : se faire draguer en rue, t’appelles ça de l’art ?!

par Mathilde Largepret publié le 18 février 2019 (c) Marine Spaak

Draguer en rue, il y en a qui en ont fait leur spécialité. Ils se font appeler pick up artists. Moi, quand on m’aborde en rue, je ne vois pas ça comme une performance artistique… Mais passons, je tenais à vous partager notre récente découverte : un slam qui fait chaud aux cœur et aux oreilles !

Cet article est tiré de l'analyse"Masculinisme 2.0"

Concocté par l’ONG Le Monde selon les femmes (pour le projet #stopsexisme), il met des mots sur un phénomène qui saoule de nombreuses femmes chaque jour, le harcèlement dans l’espace public. Ci-dessous, on vous en dit un peu plus sur les pick up artists, la Communauté de la séduction et en quoi ses membres flirtent avec le mouvement des incels mais aussi avec le courant masculiniste. Pour en savoir plus, retrouvez l’analyse FPS de laquelle est tiré cet article et la BD de Marine Spaak pour Femmes Plurielles.

Ce qui rassemble les incels, autrement dit les « célibataires involontaires » (« abstinent » ou « célibataire » ; de l’anglais involuntary celibate) c’est le sentiment d’être exclu de toute possibilité d’une vie sexuelle. Ils cherchent parfois un endroit où partager leur « misère sexuelle » et se retrouvent alors sur internet. C’est là que la Communauté de la séduction et les pick up artists, ces « experts » ou « coachs » en séduction, entrent en jeu, leur promettant de (re)trouver leur place d’homme. Ce grand réseau virtuel auquel ils adhèrent leur offrirait le sésame pour une masculinité rêvée et une virilité affirmée qui leur permettra de réussir à séduire le type de femmes qu’ils convoitent.

(c) Marine Spaak

Car, en effet, pour eux, la masculinité est en crise et cela serait néfaste à leur sexualité. Pour la journaliste Maïa Mazaurette, « notre culture enfonce le clou : un homme gentil, qui montre patte blanche, qui ne se décourage pas, sera récompensé par des rapports sexuels avec une femme ». A ce titre, les incels s’estiment en droit d’avoir des relations sexuelles avec des femmes qui, d’après eux, trouveront toujours quelqu’un « assez désespéré pour du sexe ». Et si ça ne marche pas, cela engendre de la frustration dont la responsabilité est imputée aux femmes.

D’après le mouvement masculiniste, parmi lequel on retrouve entre autres les incels et la Communauté de la séduction, les femmes, à force d’avoir obtenu de plus en plus de droits, auraient investi les espaces réservés aux hommes jusqu’à envahir toutes les sphères de la vie quotidienne. Elles prendraient l’ascendant sur les hommes et les discrimineraient. Certains estiment que les valeurs féminines se seraient infiltrées partout et se considèrent victimes du féminisme et plus globalement des femmes. Sans remettre en cause le mal-être individuel de certains hommes, on doit cependant se questionner sur la justification de celui-ci et se demander pourquoi, contrairement à ce que les masculinistes mettent en avant, les femmes ne sont pas responsables de leur état ?

(c) Marine Spaak

La Communauté de la séduction apporte des réponses à ces hommes en manque de repères. Via des codes extrêmement clairs, un protocole bien précis et un entraînement intensif, la Communauté fournit des clés pour avoir la sexualité dont ils rêvent et affirmer leur virilité. Les techniques des pickup artists et autres coachs en séduction « s’appuient sur des clichés du sexisme ordinaire, flirtent avec le harcèlement de rue ». La Communauté de la séduction répond également à leur besoin de faire partie d’un groupe : son nom, son jargon, ses conseils de tout type – de « comment se faire beau » à « comment violer sans se faire arrêter par la police », ou encore sa kyrielle de conventions à suivre, posent des balises fortes et précises en permanence.

Quand la connexion est bien établie entre un nouveau membre et le reste du réseau, celui-ci peut dès lors peu à peu propager ses idées, en commençant par une vision des rapports entre les hommes et les femmes très inégalitaire et biaisée. Notamment en ce qui concerne la vie sentimentale et sexuelle : l’égalité ferait disparaître le désir. Maintenir cette inégalité en établissant clairement une hiérarchie entre les hommes et les femmes prend alors tout son sens.

Cette hiérarchie n’est pas la seule au sein de la Communauté de la séduction. Alors qu’ils affirment que dans le groupe, ils se retrouvent enfin dans un milieu qui ne les discrimine pas et que tout le monde est sur un pied d’égalité, force est de constater que le fonctionnement de la Communauté de la séduction reste fondé sur ces rapports de pouvoir entre eux. En d’autres mots, « ce qui les intéresse n’est absolument pas la conquête des femmes mais (…) s’apprécier entre hommes (…), s’évaluer, se hiérarchiser ».

Chez les incels, se comparer entre hommes pousse à faire « toujours plus », « toujours mieux », à tenter d’atteindre l’inaccessible étoile : devenir le mâle alpha. Cette compétition malsaine apporte son lot de dérives : ceux qui ont un certain charisme, une certaine expérience manipuleront sans difficulté les plus faibles et les inciteront à suivre les injonctions toxiques de la Communauté de la séduction. De plus, en devenant leur principal voire unique moyen de sociabiliser, une dépendance émotionnelle survient rapidement ; quand il ne s’agit pas de dépendance financière. Colloques, coachings, stages : les membres de la Communauté de la séduction qui sont arrivés à se créer une notoriété grâce à internet tarifent leurs services à un prix d’or.

S’allier, toutes et tous, pour contrer toutes les formes de masculinisme

C’est en exerçant son esprit critique que l’on se rend compte de la dangerosité de la Communauté de la séduction, des pick up artists, des incels et du masculinisme en général. Certains hommes se rendent compte du côté pervers du groupe, comme le montre l’anthropologue Mélanie Gourarier dans son livre Alpha mâle : « J’ai commencé à prendre conscience (…) qu’en fait les femmes étaient un prétexte pour nous hiérarchiser, nous, les hommes. Le paradoxe est qu’on ne faisait que de parler de femmes alors qu’en réalité elles passaient au second plan ».

Faire connaître l’idéologie masculiniste et ses divers courants, les dénoncer et les expliquer permet à chacun.e de réaliser ce que ces mots cachent. Se pencher sur le phénomène permet également de mettre fin à la vision tronquée du féminisme véhiculée par les masculinistes : contrairement à ce qu’ils disent, le féminisme vise l’égalité entre les femmes et les hommes, et non la supériorité des femmes sur les hommes. Enfin, parler des masculinistes sert aussi à comprendre pourquoi ces derniers se trompent de cible : c’est le patriarcat qu’il faut combattre et non les femmes. Déconstruire le masculinisme et ses courants doit se faire ensemble ; celui-ci est nuisible tant aux femmes qu’aux hommes qui vivent sous son diktat.

Cet article est tiré de l'analyse"Masculinisme 2.0"Pour aller plus loinPodcast : Un autre homme est possiblePodcast : Contre la rhétorique masculinisteLe Mexcpliqueur Tags : anti-féminisme - droits des pères - masculinisme - incels