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Article mis à jour le 5 mars 2021

Tarana Burke, la femme derrière #MeToo

par Elise Voillot publié le 28 septembre 2020 (c) Jon Tadiello

Ou l’invisibilisation des femmes racisées dans les luttes féministes

En octobre 2017, la tour d’ivoire des hommes riches et puissants se retrouve ébranlée. Pour ce faire, 6 caractères (ou presque) ont suffi. Très vite, le hashtag #MeToo, popularisé sur les réseaux sociaux, a traversé le monde entier. Ce phénomène viral, qualifié de « mouvement social féminin du XXIe siècle » par Le Monde, a également dépassé le microcosme du cinéma et de ses célébrités pour permettre à de nombreuses « anonymes » de dénoncer le harcèlement et les violences dont elles ont été victimes au travail, dans leurs activités ou parfois même au sein de leur foyer. Si l’on cite souvent l’actrice Alyssa Milano comme initiatrice de #MeToo, elle n’est en réalité que celle qui a popularisé un mouvement créé 10 ans plus tôt par une militante afro-américaine : Tarana Burke.

Un « Me Too » bien avant le #MeToo

Tarana Burke est née dans le Bronx en 1973. Rapidement, elle se passionne pour l’activisme et s’engage dans de nombreuses causes. À la fin des années ‘90, alors qu’elle est monitrice auprès d’adolescentes, elle est appelée par Heaven, une jeune fille de 13 ans. Cette dernière lui raconte les violences sexuelles dont elle est victime au sein de son foyer. Tarana, elle même victime, ne parvient pas à entendre ce témoignage à l’époque. Elle écourte la discussion et perdra définitivement le contact avec Heaven. C’est notamment cet acte manqué ainsi que son propre vécu qui permettront à Tarana de fonder une dizaine d’années plus tard le mouvement Me Too.
Ce dernier est né pour montrer aux jeunes victimes, principalement racisées et/ou issues de milieux défavorisés, qu’elles ne sont pas seules (« Me too » se traduit par « Moi aussi ». Ce mouvement est créé pour montrer que les victimes ne sont pas seules et ainsi développer un réseau de solidarité et d’échanges entre les victimes.) et ainsi créer un cadre d’échanges et de soutien par le biais d’ateliers, et de l’organisation communautaire. En effet, Tarana a pris conscience du « manque de ressources nécessaires pour se lancer sur le long chemin de la guérison ».
En 2017, l’affaire Weinstein éclate au grand jour. Quelques jours plus tard, l’actrice Alyssa Milano, sans connaître l’origine du mouvement Me Too, incite les victimes de violences sexuelles à s’exprimer sur les réseaux sociaux en apposant le hastag #MeToo à leur publication. En un mois, celui-ci a été tweeté 85 millions de fois (IACUB Marcela, Scandale à la porcherie, analyse d’une révolte contre l’inégalité sexuelle, Paris, Michalon, 2018, p. 12). Si l’actrice a par la suite précisé les origines du mouvement, en mettant régulièrement Tarana Burke à l’honneur, le mal était déjà fait : cette dernière a été relativement oubliée par les médias.

Les oubliées de #MeToo

Même si Tarana Burke se réjouit de l’impact que #MeToo a provoqué dans le monde, d’autres voix résonnent face à cette reconnaissance tardive et, plus globalement, à cette invisibilisation des femmes racisées dans les mouvements militants.
Bien que l’impact de #Metoo soit indéniable et ait permis à de nombreuses femmes de témoigner, il est intéressant de mentionner qu’il s’agit avant tout d’un mouvement porté par des femmes blanches, riches et célèbres, qui semble laisser de nombreuses femmes sur le côté.
Un reportage du magazine les Inrockuptibles montre la difficulté d’une libération de la parole dans les quartiers dits « défavorisés ». Outre la précarité financière, les femmes interrogées dénoncent un manque de confiance envers les institutions, le « poids du quartier » qui fait que « tout se sait rapidement» ou encore un manque de prise en considération de leur situation. Comme l’explique Nadia Remadna, présidente de l’association Brigade des mères qui soutient des victimes de violences
dans les quartiers dit « défavorisés », « cela n’a pas libéré la parole de celles qui ont peur de parler. Quand ce sont des stars de cinéma, tout le monde en parle mais les femmes de quartier, tout le monde s’en fout ». Comme l’explique Sabira, l’une des témoignantes, parler quand on affronte toutes sortes d’obstacles n’est pas aisé : « On doit prioriser. Il y a d’autres soucis. Ne pas se faire virer de son boulot, nourrir les gosses, faire bonne figure à leur école. Tout ça fait qu’on est dans la crainte de s’exprimer ».

Même si Tarana Burke se réjouit de l’impact que #MeToo a provoqué dans le monde, d’autres voix résonnent face à cette reconnaissance tardive et, plus globalement, à cette invisibilisation des femmes racisées dans les mouvements militants.

Les femmes racisées, invisibilisées des luttes féministes ?

Au-delà des obstacles individuels, comment expliquer ce manque de considération pour une grande partie de la population au sein d’un courant féministe ? Pour comprendre cela, il est nécessaire de questionner la place des femmes racisées au cœur des mouvements féministes.
Dans la continuité des mouvements pour les droits civiques et de mai ‘68, une seconde vague féministe émerge. Les icônes féministes les plus médiatisées sont pour la plupart des femmes blanches, hétérosexuelles, issues de classes favorisées. Celles-ci développent des revendications
qui, la plupart du temps, correspondent à leur condition et à leur réalité sans forcément tenir compte d’autres formes de discriminations auxquels certaines femmes sont confrontées (racisme, homophobie, situation de handicap…). En parallèle de ce mouvement dit « mainstream » se développent alors d’autres courants féministes « intersectionnels » répondant mieux aux réalités des personnes racisées, queer, trans, en situation de handicap…
Comme le précise Hassina Semah, Cheffe de Cabinet de l’échevine de la Culture et de l’Égalité des genres et des chances à la commune de Schaerbeek, « ces nouveaux courants féministes ont reçu un accueil plutôt mitigé, voire hostile, dans le mouvement belge en dépit de son objet social de défense des intérêts des femmes ». Cette dichotomie entre le féminisme mainstream ou universel qui déclare défendre « toutes les femmes » sans tenir compte de leurs spécificités et réalités, et le féminisme intersectionnel reste, hélas, encore bien présente dans les luttes féministes et divise profondément un mouvement particulièrement complexe.

De l’importance de devenir des allié·e·s

Dans une société où chaque individu est un média en puissance, #MeToo présente une opportunité sans précédent. De nombreuses femmes ont pu s’exprimer sur ce qu’elles vivaient au quotidien et ainsi lever une omerta qui sévissait depuis des siècles. C’est une avancée particulièrement symbolique pour les droits des femmes et la lutte contre les violences et agressions sexuelles.
Il serait cependant naïf de croire qu’un tel mouvement apportera à court terme des solutions structurelles et à destination de toutes les femmes. #MeToo reste par ailleurs le reflet d’une hiérarchisation des luttes au cœur même de mouvements militants et engagés.
Cette réalité doit pousser les mouvements féministes/militants représentant majoritairement des femmes blanches à se questionner sur leurs propres pratiques, valeurs et responsabilités. Invisibiliser des parcours qui ne correspondent pas à ceux d’une majorité et nier les privilèges représentent une grande violence pour toutes les femmes qui affrontent d’autres obstacles au quotidien.

Sous titres disponibles en français
Tags : #metoo - Elle était une fois - racisme - intersectionnalité - sexisme