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Culture

Les femmes dans l’art

Article mis à jour le 9 octobre 2017

Voix de Femmes : chahuter les frontières géographiques et artistiques

par Marie-Anaïs Simon publié le 6 octobre 2017 ©Voix de Femmes

Le festival Voix de Femmes rebat les cartes pour sa 13e édition. Nouvelle équipe, nouvelles découvertes, mais toujours une programmation 100% féminine et pluridisciplinaire : théâtre, musique, arts numériques, ateliers… Rencontre avec Flo Vandenberghe et Camille Lefèvre, les cheffes d’orchestre de cette édition !

J’aimerais commencer par vous demander de présenter Voix de Femmes. Qu’est-ce qui se cache derrière ce projet ? Comment est-il né ?

"Le festival a déménagé quelques fois et il est devenu pluridisciplinaire, avec une place importante donnée à la musique, aux arts de la scène, aux arts numériques, aux arts plastiques, etc."

Flo : Voix de Femmes est né en 1991, sous la forme d’un festival de musique du monde et de théâtre au sein du Cirque Divers, une structure culturelle alternative à Liège. Assez rapidement, le festival a commencé à accueillir des résidentes. Pendant un petit temps, les artistes venaient de partout dans le monde et restaient sur place, elles faisaient des choses ensemble, donnaient des ateliers… C’était un vivier assez incroyable de création féminine qui était très diversifié !

Et puis, petit à petit, la résidence n’a plus été possible. Le festival a déménagé quelques fois et il est devenu pluridisciplinaire, avec une place importante donnée à la musique, aux arts de la scène, aux arts numériques, aux arts plastiques, etc.

Entre temps, Voix de Femmes est devenu une ASBL indépendante qui organise également toute l’année des ateliers d’éducation permanente pour les femmes qui sont dans des situations de fragilité économique, sociale et qui en général, se retrouve dans le réseau associatif liégeois (parcours d’alphabétisation, français langue étrangère, etc.).

Concrètement, quelles formes prennent ces ateliers qui existent en parallèle du festival ?

Flo : Ces ateliers s’articulent en général autour d’une discipline artistique avec un projet qui se développe, qu’on amène au bout et qui s’adapte au fil des demandes. Là, on vient de boucler un projet avec des ateliers médias qui ont eu lieu de 2015 à 2017. L’idée c’était, pour deux groupes de femmes issus de deux associations – la Maison des Femmes d’Ici et d’ailleurs des FPS et la Tchicass – de penser, d’écrire, de réaliser et de diffuser des courts métrages. Dans le cadre de ces ateliers, deux courts métrages ont été produits, dont un qui sera projeté lors du festival Voix de Femmes, le 28 octobre.

On va également commencer un nouveau cycle slam et, fin 2017, on commencera un cycle de création sonore.

Quelles sont les nouveautés pour l’édition 2017 du festival ?

"Cette année, on voulait vraiment promouvoir les instrumentistes et pas uniquement les voix, même s’il y en a de très belles dans la programmation. Ce focus était important pour nous parce qu'en général, les femmes instrumentistes sont encore plus invisibilisées que les autres ".

Flo : Ben nous ! (rires) Camille et moi, on a repris l’organisation du festival en mars. On reste sur les fondamentaux, à savoir la création féminine, essayer d’avoir une certaine diversité culturelle représentée et l’aspect interdisciplinaire. Ce qui a beaucoup changé c’est le format. Par exemple, sur Liège, le festival durait trois jours à la Caserne Fonck avec une très grande salle. Et nous, on voulait vraiment retourner à des formats plus intimistes, plus propices à la rencontre, à l’échange, etc. Donc, on est sorti de cet énorme espace et on a étiré le festival qui sera cette année étalé sur deux semaines dans sept endroits culturels assez actifs à Liège et à Gand.

Cette année, on voulait vraiment promouvoir les instrumentistes et pas uniquement les voix, même s’il y en a de très belles dans la programmation. Ce focus était important pour nous parce qu’en général, les femmes instrumentistes sont encore plus invisibilisées que les autres. On ouvre donc à Liège avec un ciné-concert de Christine Ott, une pianiste et spécialiste des ondes Martenot, mais on aura aussi une virtuose de la guitare américaine, une joueuse de guembri, etc.

Christine Ott - le 18 octobre pour Voix de Femmes

Camille : Une autre chose qui est nouvelle, c’est la « curieuse résidence ». L’idée, c’est d’accompagner pendant un an une artiste ou un projet selon ses besoins : ça peut être favoriser la recherche, aider à la production, à la diffusion, etc. Sur 2017, nous avons suivi la compagnie théâtrale liégeoise Paulette Godart qui s’est formée en 2014. Comme ça tombait l’année du festival, on leur a proposé une carte blanche de programmation, elles occuperont donc deux soirées et elles inviteront des artistes qui alimenteront leurs recherches.

Pour aller plus loin :En savoir plus sur la carte blanche de la compagnie Paulette GodartLa Compagnie Paulette Godart, la voix des femmes - Imagine

Pour le reste de la programmation, comment posez-vous vos choix ?

"Le but c’est qu’on ait des articles qui chahutent un peu les frontières : qu’elles soient géographiques ou artistiques. On y retrouvera des projets qui sont décalés…"

Camille : On a un nouveau fonctionnement aussi sur ce point-là. Avant, la directrice et fondatrice du festival s’occupait de toute la direction artistique. Nous on a eu envie de chahuter ça. Il se trouve que Voix de Femmes c’est une toute petite équipe, on est deux, mais il y a une vie associative derrière qui est assez dense et des gens qui sont là depuis longtemps. Cette année, nous avons donc décidé de monter un comité de programmation où chacun devient un peu moteur pour ramener des projets. Cela nous permet de nous intéresser à des domaines ou à des musiciennes qu’on n’aurait pas eus dans le viseur juste à deux.

Flo : Ce comité de programmation est aussi garant de la cohérence de notre projet. On a des parcours et des domaines de prédilection très variés. Si c’est cohérent pour tout le monde, alors c’est cohérent pour Voix de Femmes !

Camille: Et sinon l’aspect scénique, en live, la qualité de ce travail là, c’est ce qui nous importe. On est vraiment sur une ligne de programmation assez éclatée, mais le but c’est qu’on ait des artistes qui chahutent un peu les frontières : qu’elles soient géographiques ou artistiques. On y retrouvera des projets qui sont décalés…

Flo : Il y a beaucoup de projets qui sont hybrides ou inattendus, par exemple Asmâa Hamzaoui & Bnat Timbouktou qui font de la musique en soi assez traditionnelle, rien que le fait qu’elles soient un groupe de femmes, elles bousculent totalement leur univers. Même les formes les plus traditionnelles restent un petit pas de côté.

Asmâa Hamzaoui & Bnat Timbouktou - Le 19 octobre pour Voix de Femmes

Pourquoi porter des Voix de femmes ?

"C’est vrai qu’on nous demande souvent pourquoi des femmes uniquement, mais les autres ne les programment pas, alors pourquoi pas ? Quand les autres le feront, on fera 50-50 nous aussi, ça nous parait évident !"

Camille : Ben parce que les autres ne le font pas ! (rires) C’est vraiment ça ! Parce qu’il y a plein de choses, il y a plein d’artistes femmes à voir ! Dans les programmations habituelles, on ne les voit pas et pourtant …

Flo : Pourtant des meufs qui en envoient, il y en a !

Camille: Il y a des choses qui sont tellement enthousiasmantes, en termes purement artistiques ! On ne pourrait jamais tout programmer et pourtant on a étiré le festival pour pouvoir faire rentrer un maximum…

Flo : On a même dû rajouter des dates !

Camille: C’est vrai qu’on nous demande souvent pourquoi des femmes uniquement, mais les autres ne les programment pas, alors pourquoi pas ? Quand les autres le feront, on fera 50-50 nous aussi, ça nous parait évident !

À votre avis pourquoi les autres ne le font pas ?

"L’industrie musicale comme elle est aujourd’hui est problématique : dans la manière dont  les femmes sont représentées, dans le fait que ce soit toujours les mêmes artistes que le système rend visibles et parce que ce circuit restreint, validé par des pairs s’enferme sur lui-même".

Camille: Oulala ! Si on ne parle que du secteur de la musique, il y a quand même tout un système qui est mis en place où on attend des femmes qu’elles aient une petite guitare et une jolie voix et voilà… Mais c’est aussi un cercle un vicieux ! Il y a l’influence, les gens programment ce que le festival d’à côté programme. L’industrie musicale comme elle est aujourd’hui est problématique : dans la manière dont  les femmes sont représentées, dans le fait que ce soit toujours les mêmes artistes que le système rend visibles et parce que ce circuit restreint, validé par des pairs s’enferme sur lui-même. Et puis, les programmateurs sont des hommes, les directeurs sont des hommes, les financeurs sont des hommes, ceux qui critiquent sont des hommes… Les projets de femmes tentent de se débattre là-dedans, mais finalement ils perdent  beaucoup !

Flo : Il y a vraiment ce truc du système qui s’entretient lui-même. Pourtant, il ne faut vraiment pas faire un immense effort, parce que franchement il y a vraiment plein de projets féminins qui sont hyper chouettes. Mais voilà, si on ne fait pas ce petit effort de les chercher, comme majoritairement dans les programmations très visibles ce sont majoritairement des hommes qui sont proposés, on peut se dire que c’est ça la production musicale et/ou artistiques !

Camille : Et ça dans tous les secteurs musicaux !

Est-ce que vous considérez que votre festival porte un message politique ?

Flo et Camille : Oui !

Camille : Oui oui tout à fait ! Et puis, c’est intéressant de voir à quel point il dérange, pour le public, mais aussi pour les artistes… Les artistes femmes ont parfois du mal avec cette forme de programmation non mixte. Mais nous, on est persuadées que ce travail-là est nécessaire, tout comme il est nécessaire de faire entrer des programmations d’artistes femmes dans de gros festivals, on fait un travail complémentaire !

Flo : Ce qui dérange, c’est cette idée d’être définie comme « artiste femme » alors qu’on aimerait être définie comme artiste tout simplement, ce qui est légitime.

Camille: C’est une question, c’est un enjeu quand on est artiste de ne pas être programmé-e uniquement pour sa nationalité ou pour son genre.

Deux coups de cœur de cette édition

EMEL MATHLOUTHI - Le 27 octobre (En savoir plus sur l'artiste)
Juana Molina - le 26 octobre (plus d'infos)
Tags : musique