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Article mis à jour le 8 mars 2021

Fake news : une menace pour nos démocraties ?

par Elise Voillot publié le 8 mars 2021 © Charles Deluvio

« La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force ». Plus que jamais, cette contre-vérité tirée du livre 1984 de Georges Orwell résonne dans nos sociétés ultra-connectées. À l’heure de l’incertitude, de la pluralité des supports et des constants va-et-vient médiatiques, les fake news (aussi appelées Infox) explosent autour de nous. Loin d’être un phénomène récent, elles témoignent d’un manque de confiance envers les institutions et d’un besoin de mieux comprendre le monde. Mais au-delà de la simple erreur de jugement se cache une véritable menace pour les démocraties modernes.  

Quel est le point commun entre le scrutin du Brexit et celui de l’élection de Trump en 2016 ? Leurs résultats ont entre autres été influencés par de nombreuses fausses informations, relayées par des médias aussi bien considérés comme « alternatifs » que « sérieux ».

Si ces exemples font aujourd’hui école lorsqu’on parle de fake news, il est important de rappeler que les fausses informations ont toujours existé. Décuplées avec l’émergence de la presse et lors de la Révolution française, elles n’ont eu de cesse d’alimenter les débats contemporains jusqu’à leur explosion au XXIe siècle, suite à la naissance de nouveaux médias comme Facebook ou Twitter. Ces derniers présentent en effet de nombreux aspects propices à la propagation et à la popularité des fake news. Citons notamment la variété des supports pour concevoir et relayer de fausses informations, l’attractivité des contenus présentés mais aussi le fait qu’aujourd’hui, chaque personne peut être à la fois créatrice, relayeuse et réceptrice d’une information.

Les fake news sont souvent produites intentionnellement. Elles peuvent divertir et générer du buzz, influencer l’opinion publique et permettre de véhiculer diverses idéologies, mais aussi être créées à des « fins économiques ou personnelles », par exemple afin de diffamer quelqu’un.

Pourquoi relayons-nous des fake news ?

Selon le neuroscientifique Albert Moukheiber, « Une fake news se partage 6 fois plus vite qu’une véritable [info] ». Il ajoute que l’on est tou·te·s influençables face aux fausses informations et que cela n’est pas une question d’intelligence ou de classe sociale[1].

Il existe de nombreuses théories et recherches psychologiques, sociologiques ou cognitives expliquant pourquoi nous sommes si friand·e·s de fausses informations et pourquoi nous en relayons. En voici quelques-unes :

© France Info (Points de vue. Notre cerveau face aux fakes news : Albert Moukheiber)

1.Expliquer l’inexplicable et faire des raccourcis

Dans une société submergée en permanence d’informations complexes et parfois contradictoires(on parle également d’infobésité ou infodémie), il n’est pas toujours évident pour notre cerveau de faire le tri.

Comme l’explique Moukheiber, « notre cerveau est tout le temps en train d’essayer de faire du sens à partir du monde […] » ; les fake news « apportent une explication souvent simple pour un problème  compliqué ou invraisemblable […]. »

Cette recherche de sens et notre taux de concentration limité nous poussent à créer des raccourcis en nous basant parfois plus sur notre intuition que sur le raisonnement.

Des corrélations douteuses peuvent alors émerger, mettant en relation des liens de causes à effets qui n’ont pas lieu d’être. On cherche une raison, un bouc émissaire à ce qui nous arrive, surtout si la situation est exceptionnelle (crise Covid, attentats…). On appelle cela le biais d’intentionnalité.

 

2. Diffuser une information comme révélateur identitaire

Lorsque l’on partage du contenu sur les réseaux sociaux, cela crée un sentiment d’appartenance à un groupe social. Intégrer une « bande » donne l’impression d’être dans le secret, la confidence, de ne pas être un « mouton » comme d’autres groupes mainstream (càd qui représente une partie importante de la société) ou face à des élites et des institutions qui génèrent une méfiance croissante envers nos démocraties.

Ce sentiment d’appartenance encourage l’individu à relayer l’information sans forcément la vérifier.

Selon le chercheur Hugo Mercier : « […] On va partager ces fausses nouvelles-là avec des gens qui sont déjà convaincus. Donc, je pense qu’on les partage plutôt pour marquer notre allégeance à un groupe ».

Par ailleurs, une information transmise par une personne de confiance comme un·e membre de notre famille ou un·e ami·e est plus susceptible d’être partagée qu’une information relayée par quelqu’un·e qui a peu de crédit à nos yeux.

 

3. Les algorithmes sont parmi nous

Nous vivons aujourd’hui dans une ère de la personnalisation constante. Afin de susciter l’intérêt des internautes et de les maintenir connecté·e·s sur les réseaux, des algorithmes[2] se basent sur les centres d’intérêt, les recherches en ligne, l’âge ou le sexe pour proposer des contenus susceptibles de les intéresser. Plus vous allez aimer et relayer certains contenus, plus l’algorithme vous connaîtra et vous proposera des contenus associés. Même si elle n’est pas dénuée d’intérêt, cette utilisation de l’algorithme peut s’avérer dangereuse pour plusieurs raisons. Outre le fait qu’elle peut générer des comportements de dépendance, elle risque d’enfoncer l’individu dans une prise de position polarisée. Si vous lisez, aimez ou partagez des contenus expliquant que la terre est plate, vous verrez de plus en plus de contenus associés validant cette théorie. Cela va vous mettre en relation avec des personnes ou des groupes partageant votre vision ou ayant une vision plus radicale encore (la terre est plate, nous sommes entouré·e·s par un dôme). Vous vous retrouvez alors dans une bulle de filtres qui ne vous montrent que ce que vous voulez voir. La vision de l’actualité est alors biaisée et influencée par vos propres convictions et valeurs, ce qui limite la pluralité de points de vue et la prise de recul critique. Par ailleurs, plus une information est lue et plus elle est perçue comme vraie par la·le lectrice·teur. Et plus une information confirme ce que l’on savait déjà, plus notre cerveau produira de la dopamine, « l’hormone du bonheur ». Cependant comme l’explique Media Animation, l’impact des algorithmes est à prendre avec précaution.

Des menaces pour la démocratie

L’utilisation massive de fake news est le reflet d’une population en révolte contre l’ordre établi. Les infox se professionnalisent et s’affinent avec le temps en usant habilement des algorithmes, des codes journalistiques et de nos biais cognitifs. À l’heure où le flot d’informations est constant, Philippe Laloux, responsable du pôle multimédia du magazine Le Soir rappelle « qu’il est beaucoup moins coûteux de produire des contenus sensationnalistes par centaines que de produire des informations vérifiées et approfondies». En jouant avec nos émotions et nos craintes, les propagatrices·teurs de fake news génèrent des caisses de résonnance pour des mouvement radicaux qui sont longtemps restés dans l’ombre (groupes homophobes, anti-immigration, suprématistes blancs, masculinistes…).  La bulle de filtres menace également la réflexion critique, scientifique et raisonnée.

Ainsi, grâce à de puissantes stratégies de communication liées à la propagation de fake news, notamment avec l’utilisation de WhatsApp, très populaire au Brésil, Bolsonaro a exacerbé la haine à l’encontre de la communauté LGBTQIA+. Depuis son ascension au pouvoir, les droits humains sont encore plus menacés au Brésil qu’auparavant[3]. Relayer des fake news représente donc une véritable menace pour nos démocraties modernes.

Apporter des solutions au niveau sociétal

S’il existe diverses méthodes de fact-checking afin de débusquer les infox à l’échelle individuelle, la réponse à apporter pour lutter contre la désinformation doit avant tout être sociétale.

Les réseaux sociaux ont une responsabilité importante et doivent démanteler les pages, groupes et bloquer les propagatrices·teurs de fausses informations. Cela n’est néanmoins pas suffisant puisque ces personnes se tournent alors vers d’autres médias plus alternatifs et en accord avec leurs propres valeurs.

Au niveau politique, s’il semble à ce jour difficile de légiférer contre les fake news, il est opportun de soutenir financièrement et logistiquement les organismes d’éducation aux médias. Loin de se limiter aux salles de classe, l’éducation aux médias doit s’envisager de façon transversale au travers notamment de campagnes de sensibilisation, d’outils pédagogiques et de recherches. Elle nécessite, en outre, une appropriation par le monde associatif et militant en vue de toucher une population vaste et potentiellement victime de la fracture numérique.

Georges Orwell (encore lui) disait « qu’en ces temps d’imposture universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire. » Encore faut-il y mettre les moyens…

 

 

[1] Une récente étude française réalisée auprès des anti-masques montre que les adeptes de cette théorie sont « des individus plutôt éduqués, avec une moyenne de bac 2, et aussi des individus plutôt âgés et féminins, plus de 60% des femmes ». Pour en savoir plus : https://lstu.fr/TS2Gcyc9.

[2]« Dans le domaine des mathématiques, dont le terme est originaire, un algorithme peut être considéré comme un ensemble d’opérations ordonné et fini devant être suivi dans l’ordre pour résoudre un problème.  […]  Les algorithmes ont d’innombrables cas d’usage. Dans le domaine de la technologie et de l’informatique, lorsqu’un développeur crée un programme, il crée en fait un ensemble d’algorithmes. » (source )

[3] Attention, tout n’est pas à mettre sur le dos du Président brésilien. Néanmoins, ses discours stigmatisants et politiques répressives ont joué un rôle important dans la menace des droits humains. Pour en savoir plus : https://lstu.fr/maYvHXFn.

Tags : fake news - inclusion numérique - fracture numérique