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Société

Les oublié·e·s de la santé

Article mis à jour le 3 juin 2021

« Cette pandémie est un marathon, pas un sprint, dont la durée constitue un défi supplémentaire. »

par Anissa D’Ortenzio publié le 4 juin 2021 © Laura Adai - Unsplash (https://unsplash.com/s/photos/help)

Créé en 2008, Un Pass dans l’Impasse est un centre de référence en matière de prévention du suicide. Il propose des colloques, des formations, des ressources mais aussi un accompagnement pour toute personne concernée par les questions liées au suicide. Florence Ringlet, psychologue et responsable thérapeutique, nous explique ses réalités en temps de pandémie.

Quels constats avez-vous dressés lors du 1er confinement ?

En mars 2020, la crise a oeuvré comme un miroir gros­sissant. Elle a révélé les lignes de fragilité, mais aussi les ressources, préalablement existantes mais sans doute dis­simulées par les conditions de vie dites « normales ».

Les préoccupations et les vécus les plus courants que nous avons pu entendre dans la parole des personnes suicidaires qui nous consultaient concernaient le vécu d’isolement, la peur de la maladie et du risque de contamination. Mais aussi la découverte de ressources internes ou externes nou­velles, d’un potentiel créatif et de résilience, parfois l’acqui­sition d’une nouvelle compréhension d’elles·eux-mêmes et des déterminants de leur souffrance.

D’un côté, nous avons pu observer chez un certain nombre de patient·e·s l’apparition de troubles psychiatriques nou­veaux, mais surtout l’exacerbation de symptômes déjà pré­sents.

De l’autre, nous avons aussi constaté une expression moindre des idées et des comportements suicidaires, comme si la problématique était « gelée » ou « mise en quarantaine ». Et ce surtout lors du premier confinement.

Notre hypothèse est que la dimension d’effort collectif mobilisé par la crise avait relégué la souffrance individuelle au second plan. On craignait alors le déconfinement car chacun·e allait être progressivement renvoyé·e à sa situa­tion personnelle.

Quelles ont été les réactions des patient·e·s lors du 1er confinement ?

Dans un premier temps nous nous sommes adapté·e·s aux consignes de sécurité imposées par le Gouverne­ment, c’est-à-dire de travailler à bureaux fermés puis en télétravail. Les psychologues de l’équipe se sont donc adapté·e·s aux réalités imposées aux patient·e·s en étant beaucoup plus proactives·ifs. Grâce à la réactivité des services informatiques de Solidaris, nous avons pu ra­pidement proposer des consultations par vidéo et par téléphone pour les personnes qui ne disposaient pas des outils numériques.

Une partie des patient·e·s suicidaires a préféré attendre la reprise des consultations en présentiel. L’hypothèse était que face à la menace de rupture dans la continuité du suivi, certain·e·s avaient réagi dans une logique d’auto-exclusion et d’auto-censure de leur expression d’un besoin d’aide. Ces personnes peuvent souvent avoir tendance à se négliger, à ne pas reconnaitre leurs besoins et ainsi mettre leur souf­france de côté pour éviter de « poser problème » ou de « déranger ».

Dans les circonstances de cette crise sanitaire, ces per­sonnes ont peut-être eu davantage tendance « à prendre sur elles », voire même à « se replier sur elles-mêmes ». Ce sont donc ces patient·e·s-là qui ont exprimé paradoxa­lement la volonté « d’attendre ». Idem en ce qui concerne les nouvelles demandes.

De nos échanges avec les collègues de différents services, il ressortait le même constat : une interruption accrue des prises en charges et une diminution des nouvelles de­mandes. Nous redoutions tou·te·s, lors du déconfinement, un effet « tsunami ». Nous ne pouvions que nous attendre à une déferlante dont les conséquences seraient impor­tantes et durables.

Avez-vous constaté des différences avec la deuxième vague et les confinements successifs ?

Comme nous l’avions imaginé, les demandes de consulta­tions et les appels de personnes en détresse ont nette­ment augmenté. Nous avons également constaté que la durée de nos suivis de crise s’allongeaient dans le temps. Certaines nouvelles demandes concernent des personnes qui ne présentaient auparavant aucune vulnérabilité psy­chique apparente. Nous nous sommes rendu·e·s compte que les rendez-vous en présentiel étaient indispensables pour notre patientèle.

Lors de la deuxième vague et encore aujourd’hui, nous constatons que les défenses individuelles et collectives sont émoussées. La mobilisation solidaire et porteuse d’espoir des premiers mois aurait-elle bu la tasse ? Le vent qui souffle aujourd’hui porte un sentiment de « chacun·e pour soi » avec un courant de révolte et de contestation.

Ce qui rend ce deuxième, voire troisième confinement plus rude, outre la caractéristique saisonnière, c’est la lassitude et la fatigue liée à la durée de la situation. Cette pandémie est un marathon, pas un sprint, dont la durée constitue un défi supplémentaire.

Comment les confinements successifs ont-ils impacté la population ?

Les mesures visant à limiter les contacts sociaux af­fectent le bien-être de l’ensemble de la population. Celle-ci est sollicitée à plusieurs reprises pour adap­ter son comportement rapidement. Cela nécessite une résilience et une adaptabilité supplémentaire. L’isole­ment social et sa durée sont aussi préjudiciables au bien-être mental et en particulier chez les jeunes. Il nous parait dès lors essentiel de créer et de stimuler un sentiment d’appartenance. Cette crise nous touche toutes et tous à différents niveaux. De plus, force est de constater que les professionnel·le·s de santé phy­sique ou psychique ressentent une fatigue mentale importante et non négligeable, qui pourrait à la longue avoir un impact sur la qualité des soins.

Pour en savoir plus : http://www.lesuicide.be/ Tags : Covid-19 - santé mentale