Société
Femmes et espace public
Cyberharcèlement : les femmes principalement touchées
par Elise Voillot publié le 30 juillet 2019
En février 2019, l’affaire de la Ligue du LOL explose sur les réseaux sociaux. De nombreuses voix s’expriment alors sur Twitter pour dénoncer les vastes campagnes de cyberharcèlement dont elles ont été les victimes. Constituée en 2009 via un groupe Facebook privé et majoritairement composée de journalistes influents (Libération, Les Inrocks, Slate) ainsi que de publicitaires parisiens, la Ligue du LOL s’est attaquée principalement à des femmes. Outre les tweets ou commentaires injurieux, racistes, sexistes, homophobes et sexuels, certains membres de la Ligue ont usurpé l’identité des victimes, réalisé des photomontages humiliants, organisé des canulars téléphoniques ou encore se sont rendus physiquement chez les victimes. Le vacarme qu’a provoqué l’affaire a permis de donner un coup de pied dans la fourmilière… Reste à creuser la question du cyberharcèlement, dont les femmes sont à ce jour les premières victimes.
Comprendre le cyberhacèlement
Le cyberharcèlement comporte certains critères du harcèlement « traditionnel » à savoir l’intentionnalité (on agit volontairement pour nuire à la victime), la répétition et la relation d’emprise. Mais là où le harcèlement plus « classique » se définit généralement par un harcèlement en face à face, le cyberharcèlement se prolonge sur les réseaux sociaux et sur internet. La victime peut alors être agressée jusque dans sa sphère privée et par des anonymes sans contrainte ni de temps, ni d’espace. Il peut se déployer également plus vite et de façon plus importante que dans le « monde réel ». Un contenu peut être partagé, commenté et échangé n’importe quand par des gens qui ne se côtoient pas en face à face mais derrière un écran.
La multiplicité des supports sur les réseaux sociaux (vidéos, commentaires, textes, photos) permet aux agresseurs de varier les modes d’action : publier des images, des informations, des SMS ou des vidéos à caractère sexuel (le sexting), confidentielles (l’outing), diffuser des informations diffamatoires (le flaming), usurper l’identité de la victime, la menacer ou encore propager de fausses informations sur elle.
Si la violence s’effectue dans un cadre virtuel, la douleur des victimes est pourtant bien réelle et ne s’arrête pas à la fermeture des écrans.
Les femmes, premières victimes de harcèlement
Selon une étude d’Amnesty International réalisée dans 8 pays auprès de femmes de 18 à 55 ans, près d’un quart des femmes sondées ont déclaré avoir subi des violences ou du harcèlement sur internet au moins une fois dans leur vie. Pour la journaliste indépendante Florence Hainaut, les cibles favorites des harceleurs sont « les femmes qui s’expriment, celles qui “ne restent pas leur place ». Et si elles cumulent les facteurs de discrimination, c’est pire, elles font alors
face, par exemple, à une combinaison de misogynie et de racisme. »
La youtubeuse Marion Seclin ou la journaliste Nadia Daam, toutes deux dénonçant le sexisme, ont ainsi été victimes de vastes campagnes de harcèlement en ligne. La première autoproclamée « championne de France du cyberharcèlement » (elle a reçu près de 40.000 messages injurieux), la seconde, également victime de menaces de mort et de viol. En conséquence, de nombreuses femmes actives sur internet, craignant les représailles ou les injures, se murent dans le silence. Selon l’étude d’Amnesty, 32 % des femmes qui ont déjà été harcelées ont cessé de publier des contenus véhiculant leur opinion sur certains sujets.
Dans le cas de la Ligue du LOL, où les victimes connaissaient parfois les harceleurs, des carrières ont été ruinées. Selon Lucille Bellan, journaliste à Slate et victime : « Pour moi, la Ligue du LOL, c’est des années de harcèlement, une usurpation d’identité, des attaques basses et gratuites… Clairement, ça a défoncé ma confiance en moi et en mes capacités de journaliste. »
La journaliste et féministe Mélanie Wanga connaissait également certains membres de la Ligue : « Imaginez croiser les gens de cette team en soirée. Les voir se promouvoir entre eux, se donner des CDD, des CDI. Les voir harceler d’autres personnes. Vous essayez de lutter et d’aider, sans trop réussir. Parce que déjà, les rapports de force sont complètement déséquilibrés. »
Que fait la justice ?
Pour Florence Hainaut : « La réponse doit être politique. Si le politique n’en fait pas une priorité, la police et la justice ne le feront pas, ne fût-ce que parce qu’on ne leur en donnera pas les moyens.»
En Belgique, le harcèlement, l’incitation à la haine, à la discrimination, à la violence ou à la ségrégation sont puni-e-s par la loi. Pourtant face au cyberharcèlement, la justice semble très souvent impuissante.
En France, Marion Seclin témoigne de procédures longues et complexes. Face à 40.000 harceleurs anonymes, dont elle ne connaissait que le pseudo, elle devait porter plainte contre X ce à quoi elle répondra : « J’ai pas le temps, ni les moyens, ni l’énergie de porter plainte contre 40.000 personnes. » Lorsqu’elle a dénoncé les agressions dont elle a été victime, les modératrices/teurs des réseaux sociaux ont indiqué qu’elles/ils n’étaient pas des médias mais des diffuseurs et qu’elles/ils n’avaient donc pas à prendre parti. Outre un système judiciaire complexe, lent et une non-réactivité des modératrices/teurs, il est aussi plus difficile de rassembler des preuves au vu de la volatilité des contenus en ligne. Par ailleurs, l’évolution rapide des réseaux sociaux est telle qu’elle empêche la justice de suivre la cadence.
Dans le cas de la Ligue du LOL, si le « tribunal populaire » et le monde professionnel ont tranché (certains professionnels ont été mis à pied suite à la dénonciation de la Ligue du LOL), la condamnation des membres se fait attendre. En cause ? Le délai de prescription qui a été dépassé et le niveau de responsabilité des membres de la Ligue (certains se disent justes membres du groupe et déclarent ne pas avoir harcelé les victimes). Notons cependant qu’un collectif d’avocat-e-s gravitant autour de l’association féministe Jamais sans elles s’est constitué, et que la secrétaire d’État chargée de l’égalité femme-homme Marlène Schiappa envisage (sans l’annoncer officiellement) d’allonger le délai de prescription.
Affaire à suivre…