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Société

Insultes, viol, harcèlement

Débarrassons-nous du slutshaming !

par Marie Colard publié le 5 janvier 2018

Cet article s’inspire de l’analyse « Le slutshaming : un mécanisme d’oppression au-delà de l’insulte» réalisée par Laudine Lahaye en 2017.

Le « slutshaming », tu connais? Mais, si ! Ce sont toutes ces charmantes petites remarques des plus vulgaires aux plus insidieuses qui stigmatisent les femmes lorsqu’elles expriment un peu trop leur sexualité : « Y avait pas assez de tissu pour finir ta robe ? », « T’as vu comment tu es habillée, ne t’étonne pas de te faire agresser… », « Tu couches dès le premier soir ?! Tu ne trouves pas que ça fait un peu fille facile ? ». Tout un florilège qui attaque constamment notre liberté sexuelle.

Le terme « slutshaming » provient de la contraction entre les mots anglais « slut » (salope) et « shaming » (faire honte). Cette expression a été popularisée par les féministes américaines et canadiennes pour dénoncer les intimidations physiques ou morales faites aux femmes dont le comportement sexuel est jugé « hors-norme ». Le slutshaming se base sur l’idée que le sexe serait dégradant pour les femmes, d’où la volonté de faire culpabiliser celles qui manifestent, de près ou de loin, une vie sexuelle active.

Regarder d’un mauvais œil cette fille qui drague ouvertement les mecs en soirée? C’est du « slutshaming ». Rabaisser la nana d’en face car sa jupe est au-dessus du genou ? C’est du « slutshaming ». Critiquer la collègue du troisième parce que son décolleté est trop plongeant ? C’est du « slutshaming ». Il est partout, se propage telle une mauvaise herbe et ce n’est pas facile de l’éradiquer ! D’autant plus que les femmes, elles aussi, perpétuent ce phénomène sexiste qu’elles ont intériorisé très tôt.

Un contrôle social pernicieux

Le « slutshaming » est le reflet d’une société patriarcale où les rôles sociaux sont basés sur le sexe et conditionnent les filles à devenir des femmes « respectables ». Être séduisante, mais pas vulgaire. Faire l’amour, mais ne pas « baiser ». Flirter, mais ne pas faire le premier pas, etc. Bref, les femmes doivent rester à leur place, ne pas faire d’esclandres, être mesurées, humbles et pudiques. Ainsi, au siècle dernier, on enseignait aux jeunes femmes un ensemble de préceptes de bonne conduite pour leur apprendre à ne jamais dépasser les limites de la politesse et de la bienséance. Quelques extraits :

« L’après-midi, attention, madame, de n’être pas « trop habillée », surtout si vous sortez à pied et usez des moyens de transport ordinaires. Le manteau trop somptueux, le chapeau extravagant vous feront remarquer: c’est une erreur ».
Le guide marabout du savoir-vivre de tous les jours (1951)

« La femme oublie trop souvent qu’elle est un objet de convoitise. De sa part, certaines attitudes choquantes sont vraiment dangereuses et, donc, coupables. Une jupe trop relevée, une caresse trop tendre ou trop prolongée, ne sont pas des peccadilles vis-à-vis de la précieuse chasteté masculine ».
Amour, mariage, bonheur (1966)

« Si vous êtes réellement un amant bien élevé, il y a un point important qu’il vous faut prendre en considération et ce point est la « pudeur » de votre femme. Elle aura appris que dans notre société la grande majorité des couples accomplissent l’acte
sexuel dans la position dite classique où la femme est sous l’homme, et toute tentative pour essayer de modifier cette conception est irrémédiablement destinée à choquer sa pudeur ».
Extrait de « La sexualité masculine » (1971)

L’éducation aux bonnes mœurs a ainsi ouvert une voie royale au slutshaming actuel. Celui-ci
découle de la même intention de contrôle social : rappeler à l’ordre les femmes qui s’écartent de la norme, remettre sur le « droit chemin » celles qui aspirent à une vie sexuelle épanouie et décomplexée.

À l’heure actuelle, les filles continuent d’intérioriser ce contrôle social, sous la forme d’une double injonction : on attend d’elles qu’elles soient désirables aux yeux de la gent masculine tout en donnant l’impression d’une certaine pureté, d’une certaine innocence. Cela implique que les femmes peuvent aussi recevoir des moqueries si elles manifestent une activité sexuelle moindre. Une trop grande modération serait le signe d’une sexualité éloignée des normes sociales et donc également sujette au contrôle social.

La sexualité féminine niée

Le slutshaming réaffirme un tabou pregnant sur la sexualité des femmes, il sous-entend que les femmes n’ont pas le droit d’avoir des désirs sexuels ou de prendre plaisir à la sexualité.

Dès l’enfance, on élève les jeunes filles en insistant sur le caractère, quasiment sacré, de leur virginité. Elles doivent choisir avec précaution l’homme auquel elles accorderont leur « fleur ». Elles doivent en outre attendre le bon moment avant de s’abandonner, trop tôt serait un aveu de curiosité mal placée. Et trop tard, elles se voient attribuer l’étiquette de « vieille fille coincée » … En associant la perte de la virginité à la perte de l’innocence et de la pureté, on associe, par ricochet, le sexe à la souillure et à la décadence. Chez les garçons, la sexualité n’a pas le même statut, elle est positive et contribue à l’expression de la virilité.

Les jeunes gens puis les adultes, qui ne respectent pas ces rôles sociaux de sexe, seront irrémédiablement sanctionnés par leurs pairs. Les insultes, les moqueries, le harcèlement, la mise à l’écart seront des moyens de punir « les déviants » (les filles « faciles » et les garçons « puceaux ») pour leur non-adéquation aux normes sociales en vigueur.

Entre "slutshaming" et "culture du viol"

© Geralt (Pixabay)

Le « slutshaming » renforce la culture du viol en faisant culpabilisant les femmes par rapport à ce qui leur arrive. En effet, la responsabilité est rejetée sur les victimes. « Tu l’as bien cherché » ou « En même temps tu as vu comment tu es habillée… » sont des remarques régulièrement entendues par les femmes victimes d’agressions sexuelles.  Ainsi, on ne remet pas en cause la responsabilité de l’auteur et il devient lui-même « la victime » de la victime qui l’aurait provoqué. On le dédouane et il reste ainsi impuni.

Du coup, d’une part, on ne se pose pas les bonnes questions, et d’autre part, on envoie le signal que  le viol et le harcèlement sexuel sont tolérés .

Le « slutshaming », bien plus qu’une banale insulte

Le « slutshaming » s’inscrit dans un mécanisme d’oppression des femmes en niant et dénigrant l’activité sexuelle de celles-ci. En rendant les femmes honteuses à l’égard de leur sexualité, le slutshaming entrave leur épanouissement, leur émancipation et l’égalité entre les sexes.

Dès lors, pour lutter contre le slutshaming, nous devons agir pour la reconnaissance du plaisir et de la masturbation féminine. Apprenons aux filles que le plus important en matière de sexualité, c’est d’être bien avec soi-même et avec ses choix. La morale et les traditions ne servent qu’à mieux les contrôler, à les faire rentrer dans le moule d’une hétérosexualité passive et dominée. Aujourd’hui, il est plus que temps de pouvoir proposer aux jeunes une vision positive de la vie affective et sexuelle qui promeut le plaisir, la santé, la citoyenneté et le respect de soi et des autres.

Mais surtout, évitons de juger une femme (ou un homme d’ailleurs) sur sa sexualité. Chacun-e a droit de gérer sa vie sexuelle comme il/elle le souhaite. Une femme n’est ni contrôlable, ni consommable. Son corps lui appartient, à elle et elle seule.

POUR ALLER PLUS LOIN :Analyse FPS : Le slutshaming : un mécanisme d’oppression au-delà de l’insulte
Article de Genre ! : Le « Slut Shaming »
Article de MadmoiZelle : Je veux comprendre… le slut-shaming
L'Émifion de MadmoiZelle : le slutshaming
Tags : sexisme - violence - harcèlement - Sexualité - Féminisme