Culture
Dis moi, c’est quoi un TV Trope ?
par Lola d’Estienne d’Orves publié le 22 juin 2017
Le fait que la pop culture regorge de clichés scénaristiques n’est pas une nouvelle. Mais quand ceux-ci deviennent un réflexe, en portant atteinte à la représentation des femmes, difficile de passer à côté. Certains sont même allés jusqu’à les codifier et leur donner des noms : c’est le cas de la manic pixie dream girl, la mary sue, la sassy black woman et plus récemment, le born sexy yesterday. Voyage dans les méandres des « tropes » féminins.
« Un trope, dans la pop culture, désigne un artefact scénaristique, un schéma qui se retrouve dans des scénarios différents mais toujours sous la même logique ».Un trope, dans la pop culture, désigne un artefact scénaristique, un schéma qui se retrouve dans des scénarios différents mais toujours sous la même logique. Les personnages féminins qui ne sont là que pour montrer leur plastique, servir d’intérêt amoureux au héros principal pour enfin finir par lui rouler une galoche alors que le générique défile peuvent être considérés comme tels. Mais certains schémas sont plus difficiles à déceler, se cachant derrière une substance superficielle pour mieux tromper le spectateur.
Ces protagonistes ont été conceptualisés au fil du temps et font aujourd’hui partie prenante de la pop culture. C’est le cas, par exemple, de la manic pixie dream girl : un personnage féminin excentrique – mais de rêve : traduisez mignonne et présentable à ses parents – qui va arriver dans la vie d’un héros à la vie banale (la plupart du temps un homme cis-hétéro blanc) pour lui faire vivre des aventures gentiment folles et enfantines, servir d’intérêt amoureux et quitter sa vie une fois sa mission de rémission de dépression accomplie. Sans pour autant qu’on ait appris quoi que ce soit sur sa personnalité, hormis sa joie constante et ses aventures inconscientes. Ce genre de personnage manque de substance, et reste très superficiel. Terme créé à la sortie d’ Elisabeth Town par le critique Nathan Rabin pour désigner le personnage de Kirsten Dunst, il est aujourd’hui entré dans le lexique des personnages phares de la pop culture, avec pour égérie (quelquefois pas à juste titre) Zooey Deschanel, qui semble enchainer ce genre de rôles.
Liste non exhaustive des tropes féminins
© Nuclear Family ([EN] Les personnages féminins faciles : le film.)Bien sûr, la Manic Pixie Dream Girl n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. On peut par exemple citer :
→La « Sassy/Angry Black Woman »: une femme noire, sarcastique, extravertie au possible et qui ne peut pas s’empêcher de parler fort en bouger l’index de gauche à droite quand on lui pose une question. Ne contrôle pas ses émotions, occupe un poste élevé dans la société ou dans une entreprise, mais a besoin de l’aide de personnages blancs pour être remise sur le droit chemin.
Un exemple : Donna Meagle dans Parks and Recreation
Émotion totem : le sarcasme.
La phrase : en tant que femme blanche, on peut attribuer mes colère à mes règles, ce qui est déjà très énervant. Mais imaginez une seconde que votre colère soit associée à votre couleur de peau… C’est le cas de la Angry Black Woman ».
Remarque : les tropes sur les femmes racisées mériteraient un article à eux tout seuls tant ils sont nombreux.
→La « Mary Sue » : Un personnage majoritairement féminin, mais qui existe aussi en version homme. Elle est si parfaite qu’on la croirait sortie d’une pub Chanel. Ne ferait pas de mal à un moustique, même en pleine insomnie. A un passé douloureux mais n’en parle pas pour ne pas ruiner sa perfection. L’univers gravite autour d’elle. Suscite le désir des personnages masculins et finira par trouver un homme pour lui faire oublier son passé difficile.
Un exemple : Bella, Twilight ou Hannah Baker dans 13 Reasons Why.
Émotion totem : le sourire triste.
La phrase : Mary Sue a encore fait des cupcakes pour le travail ! Mais comment fait-elle pour être si parfaite, entre ses cours de pilate, son père malade, ses six enfants et le boulot ?
→La « Hysterical Woman »: Que dire de plus. La femme hystérique pète des crises pour la moindre goutte renversée sur la moquette et son instabilité est reliée à son genre. On excuse tout de suite la violence faite à son encontre, parce qu’elle est quand même sacrément désagréable. Et puis une gifle d’un alpha-mâle dominant, c’est toujours mieux qu’une psychanalyse, non ?
Un exemple : Betty Draper dans Mad Men
Émotion totem : la colère démente
La phrase : Mais elle a ses règles ou quoi ?
→La « Born Sexy Yesterday » : plus récente et codifiée par un youtubeur américain, elle désigne un personnage à l’esprit naïf dans un corps de femme sexualisé. Elle va rencontrer un homme, le premier de sa vie, qui n’aura en aucun cas peur d’être comparé (vu que c’est le seul qu’elle connaitra) et dont elle tombera fortement amoureuse quand il lui apprendra les choses de la vie (aka le sexe).
Un exemple : Leeloo dans le 5ème élément.
Emotion totem : l’incrédulité
La phrase : BIG BADABOUM DANS TA CULOTTE
→La Trinity: désigne un personnage fort féminin, mais qui ne servira à rien dans l’histoire, étant donné que c’est le héros masculin, pas forcément plus qualifié, qui finira par faire tout le boulot pendant qu’elle sera dans le coma/en train de faire un malaise/en train de se faire les ongles. Revient généralement à la fin pour rouler une galoche au personnage masculin.
Un exemple : Trinity dans Matrix
Emotion totem : la force évanouie
Une phrase : oh mais bien sûr que je vais laisser tomber tous mes rêves et toutes mes missions pour me laisser aller à l’amour ! Comment ai-je pu être aussi bête ???
Et la liste est encore longue. Certains sont plus diffus, mais omniprésents : la femme éternellement célibataire, cherchant un mec bien parce qu’elle ne sort qu’avec des connards, la femmes objet, la sage qui n’agit pas mais donne de bons conseils, celle qui fait un bœuf bourguignon et boit un verre de vin rouge habillée dans une robe blanche, talons et qui ne fait pas une tache…
Une mauvaise représentation qui dure...

Ces clichés ne sont pas nouveaux, mais ne sont pas pour autant justifiables. Le problème majeur qui lie tous ces « tropes » est simplement que toutes ont pour seul but de revaloriser un personnage masculin. Soit elles n’ont pas de psyché intéressante et complexe, soit elles laisseront tout tomber pour s’évanouir dans les bras de leur aimé. Et souvent, on ne comprend même pas comment se crée une romance entre les deux personnages.
Souvent aussi, les personnages féminins forts sont mal représentés : les scénaristes se contentent de prêter des traits masculins à des femmes, alors qu’il serait temps de reconnaitre que la féminité est, elle aussi, forte dans bien des cas. Il suffit de citer des séries comme Girls, Orange is The New Black, Steven Universe ou même la série française 10 pourcents pour voir des personnages divers, complexes, qui ne présentent pas une seule facette et qui ne sont pas définis par leur relation amoureuse.

... Et un sexisme propre au milieu
Ces séries ont un point commun : elles ont toutes été créées et scénarisées… par des femmes. Le problème viendrait donc non seulement de flemmes scénaristiques, mais aussi de la sous-représentation des femmes dans le milieu du cinéma et de la télévision. En 2012, seulement 27% des scénaristes de série TV étaient des femmes.
Une absence qui se justifie par un sexisme banalisé dans ce milieu. Même des personnalités reconnues en sont encore victimes, comme Lena Dunham (scénariste/réalisatrice/comédienne dans Girls) qui avait été sollicitée par un producteur dans un café, ce dernier lui montrant des photos obscènes et lui proposant de montrer ses organes génitaux dans un télé-crochet. Le tumblr « shit people say to women directors » (les conneries que les gens disent aux femmes réalisatrices), recense aussi le sexisme ordinaire que les femmes subissent, et ce dès les études.
« Quand j’étais en école de cinéma, on avait un ingénieur du son connu pour ne pas suivre les instructions des femmes étudiantes en réalisation. Une autre étudiante, pourtant féministe, m’a dit : « flirte avec lui et ce sera plus facile à gérer. Elle m’a dit qu’elle le faisait « tout le temps » ».
Pour aller plus loin :Les femmes dans l’industrie du cinéma: les inégalités toujours de mises malgré des améliorations (Inrocks)Comment le féminisme a changé mon rapport à la pop culture (Madmoizelle.com)
Ces personnages féminins qui méritent votre attention
Pour parer à ce ras-le-bol général et aux tropes omniprésents, voici une liste de personnages de séries, recommandés par la rédaction, qui méritent quelques heures de visionnage :
Jessica Jones, dans Jessica Jones (Netflix) : un personnage fort, indépendante, avec des traits qui détonnent des traits habituels des femmes dans Marvel (qu’ils soient positifs ou négatifs). Alcoolique mais douée d’une force surhumaine, Jessica saura vous donner envie de porter une veste en cuir marron et de partir se venger de David Tennant.
© Netflix (Le trailer de Jessica Jones)Buffy, dans Buffy contre les vampires (The Warner Bros Company) : on ne présente plus Buffy. Cette héroïne de votre adolescente détient en vérité une grande complexité, et aborde des thèmes quelquefois tabous, entre deux high kick dans les têtes de zombie.
© Warner Bros (Le générique mythique (et kitsch) de Buffy)
Dana Scully, X Files (FOX) : Scully a cette force de réellement connaitre une évolution tout au fil de la série (et de la nouvelle saison youpie). Malgré une romance sous-jacente entre elle et Mulder, cette intrigue ne prend jamais le pas sur les enquêtes mystiques du duo.
© Fox (I WANT TO BELIEVE)Tous les personnages féminins (sauf peut-être Piper) d’Orange Is The New Black (Netflix) : oubliez Piper Kerman. Pensez à Poussey, Taystee, Sophia Burset, Red et tellement d’autres. Les personnages de Jenji Kohan, la réalisatrice et scénariste de la série, possèdent une telle richesse et une telle diversité qu’il serait stupide de ne pas se faire les (bientôt) 5 saisons d’une traite. Ou plus lentement, pour savourer le plaisir.
© Buffy Mars (L'analyse de Buffy Mars de la série (SPOILER INSIDE))Anna dans La Théorie du Y (RTBF WebCréations) : on vous avait déjà parlé de ce personnage dans un article dédié, mais on vous le répète : cette série est la bonne surprise de l’audiovisuel belge de cette année. Anna possède une véritable indépendance et apprend, certes via des relations amoureuses, à s’épanouir et à cultiver son autonomie.
© RTBF (La bande annonce de la théorie du Y)Tous les personnages féminins de Girls (HBO) : Girls est aujourd’hui devenue la référence en terme de série féministe. Créée et réalisée par Lena Dunham, elle était autrefois présentée comme une version trash de Sex & The City, mais elle vaut tellement plus. Une sexualité épanouie, des personnages multidimmensionnels, une évolution qui se suit au fil des saisons… Si vous ne l’avez pas encore vue, courrez-y.
© HBO (Le trailer de la saison 1)Et encore Broad City, Ghost In The Shell, Steven Universe, Crazy Head, Orphan Black, Borgen, Game of Thrones… Les films ont aussi leur lot de personnages forts. On compte Beatrix Kiddo dans Kill Bill, Thelma et Louise dans le film du même nom, les personnages féminins de Mad Max Fury Road, Ripley dans Alien…
La liste est longue et ne fait que s’allonger au fil du temps. Car même si les « tropes » restent trop récurrents, une nouvelle vague de réalisatrices-teurs se profile et n’attend qu’un public fidèles pour partager leurs oeuvres.
Et vous, quels sont les personnages féminins qui vous ont marqué-e-s, inspiré-e-s ?