Société
Handicap invisible – Faut-il un stigmate pour être reconnu ?
par Anna Safuta publié le 28 février 2018
À l’occasion de la récente campagne de l’Association Socialiste de la Personne Handicapée (ASPH) « Faut-il un stigmate pour être reconnu-e ? », nous avons rencontré Mélanie De Schepper, chargée d’études et de projets au sein de l’association. Mélanie a porté la campagne aux côtés des témoins qui se sont porté-e-s volontaires pour parler de leur handicap invisible. À cette occasion, nous lui avons posé quelques questions, sur la campagne et sur le handicap au sens large.
D’où est venue l’idée d’une telle campagne ?

Les personnes en situation de handicap invisible se heurtent à l’incompréhension de leur entourage et de la société. Ce sont des personnes que tu ne repères pas dans la société, alors qu’elles sont dans des galères pas possibles. Quand on sort du contexte médical, personne ne sait que ces personnes sont en situation de handicap, ce qui crée de l’isolement. Les handicaps invisibles sont aussi souvent exclus des catégories utilisées par les institutions et les services médicaux pour « classer » les handicaps. Aux yeux du grand public, des professionnels et des pouvoirs publics, il y a deux grandes catégories de personnes handicapées que sont les personnes en chaises roulantes et les personnes en situation de handicap mental. Ces deux groupes monopolisent l’imaginaire, les subsides, les campagnes destinées au grand public. Toutes les personnes en situation de handicap qui ne se retrouvent pas dans ces deux catégories sont exclues ou doivent en tous cas se battre deux fois plus pour avoir les mêmes droits. Elles sont invisibles.

Campagne "faut-il un stigmate pour être reconnu ?"
Handicap Invisible.org
Handicap Invisible, comment en parler au travail ?
Analyse - Handicap invisible, quelles réalités?
Des photos pour montrer le handicap invisible
Pourquoi les femmes sont-elles surreprésentées parmi les témoins dans les capsules vidéos qui ont jalonné la campagne?
"J’ai l’impression que certains hommes perçoivent le fait d’exprimer un vécu personnel, surtout si celui-ci est difficile, comme le fait de se mettre en position de faiblesse ou de se plaindre."Nous avions publié un appel à témoignages très large, via les réseaux sociaux, via notre site, via les associations de patient-e-s aussi. Les réponses qui nous sont parvenues provenaient principalement de femmes. J’ai l’impression que certains hommes perçoivent le fait d’exprimer un vécu personnel, surtout si celui-ci est difficile, comme le fait de se mettre en position de faiblesse ou de se plaindre. Peut-être que si on avait fait un appel à témoignages anonyme, on aurait eu plus d’équilibre de genre dans les réponses ?
Il y a différentes manières de définir le handicap, quelle est celle que privilégie ASPH ?
"Ce ne sont pas les personnes en situation de handicap qui doivent s’intégrer socialement, mais la société qui doit être inclusive."L’ASPH préconise de dépasser le modèle médical du handicap. Certaines personnes naissent ou se retrouvent au cours de leur vie avec des différences organiques. Le handicap nait de l’interaction entre cette différence et l’environnement. On insiste sur le terme « en situation de handicap », parce que le handicap n’existe pas en soi. Ce ne sont pas les personnes en situation de handicap qui doivent s’intégrer socialement, mais la société qui doit être inclusive. Pour l’instant on n’y est pas du tout, parce que les politiques du handicap en Belgique ne fonctionnent pas comme ça. Le modèle médical a encore un poids énorme. Pour rentrer dans une institution ou obtenir des allocations, il faut obtenir un diagnostic bien précis. Cela crée des catégories très fermées, très cloisonnées entre types de handicaps. Certaines personnes – je pense aux personnes cérébrolésées par exemple – ne se retrouvent dans aucune de ces catégories. C’est le jeu de la patate chaude pour savoir qui va les prendre en charge. Certain- e-s se retrouvent même à l’hôpital pendant des mois, parce qu’il n’y a aucune institution susceptible de les accueillir.
Pour aller plus loin :Vidéo pour comprendre les cérébrolésionsIl y a-t-il des défis spécifiques auxquels sont confrontées les femmes en situation de handicap ? Quels ponts créer entre l’activisme handi et le féminisme en Belgique ?
Dans la hiérarchie sociale, les personnes en situation de handicap se retrouvent bien souvent plus bas que d’autres catégories de personnes. Ça veut dire aussi que quand on cumule des critères fragilisants, on descend encore plus bas dans l’échelle sociale, jusqu’à devenir totalement inexistant-e. Je pense qu’il y a un seuil au-delà duquel certaines personnes ne sont plus considérées comme des individus qui apportent quelque chose à la société. C’est cette idée qui doit être combattue de concert.
Pour aller plus loin :ASPHTeaser de la campagneLa Campagne "Faut-il un stigmate pour être reconnu"Etude ASPH - Femmes et handicap