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Société

Femmes en guerre, femmes en lutte

Article mis à jour le 7 avril 2017

Interview – Femmes et migrations

par Julie Gillet publié le 1 février 2017 ©Shutterstock

Les parcours des femmes demandeuses d’asile ne sont jamais les mêmes: les motifs, les histoires, les cultures et les vécus peuvent être très différents… Néanmoins, certaines caractéristiques rassemblent ces femmes qui ont tout quitté. France Arets, militante passionnée nous aide à comprendre les spécificités du parcours des migrantes et les pistes de solutions pour améliorer leur situation.

Depuis dix-huit ans, France Arets s’oppose au centre fermé pour étrangers de Vottem, au côté du CRAPCE (Collectif de Résistance Aux Centres Pour Etrangers). Elle coordonne également le comité de soutien aux sans-papiers de Liège. Depuis le mois de juin, elle s’engage au côté de la centaine de sans-papiers, dont une trentaine de femmes et enfants, qui occupent les anciens locaux de l’école d’horticulture de Burenville, à Liège

En vingt ans, avez-vous perçu une évolution dans le profil des migrants ? Y-a-t-il plus ou moins de femmes aujourd’hui?

France Arets : Venant de régions en guerre comme la Syrie et l’Irak, on peut observer que ce sont davantage des hommes seuls qui arrivent, dans l’espoir de faire venir leur famille par la suite. Mais quand on regarde l’ensemble des migrations de ces dernières années, y compris économiques, on constate qu’il y a de plus en plus de femmes. Parmi les réfugiés aussi, notamment des femmes qui fuient des situations qui leur sont spécifiques.

« Les portes de la migration économique ayant été fermées, elles se retrouvent vite dans l’illégalité. Travail au noir et surexploitation deviennent leur lot quotidien ».

Par exemple, de nombreuses femmes originaires d’Afrique subsaharienne s’exilent car elles sont menacées ou victimes de mariages forcés, de mutilations génitales ou encore de viols. Elles viennent seules, car elles fuient une situation personnelle. D’autres femmes, originaires du Brésil, d’Europe de l’Est ou des Philippines, viennent dans l’espoir de trouver un emploi. On les retrouve dans les secteurs du nettoyage, de l’aide aux personnes, dans l’Horeca. Les portes de la migration économique ayant été fermées, elles se retrouvent vite dans l’illégalité. Travail au noir et surexploitation deviennent leur lot quotidien. De nombreuses femmes se retrouvent ainsi littéralement transformées en esclaves domestiques.

Les parcours migratoires des femmes sont-ils différents de ceux des hommes ?

Les parcours des femmes sont avant tout plus compliqués. Le voyage en lui-même les expose déjà à davantage de risques, notamment celui de subir des violences sexuelles. De nombreuses femmes témoignent de viol(s) de la part de leurs passeurs. Certaines tombent dans des réseaux d’exploitation sexuelle ou domestique. Les femmes fuient des persécutions, et continuent à subir ces persécutions durant tout le voyage. Elles auraient bien besoin d’un accueil spécifique ici. Et ça, elles ne le reçoivent pas toujours.

Par la suite, il leur est également plus difficile d’obtenir l’asile, car les persécutions spécifiques qu’elles fuient ne sont pas prises en compte en tant que telles dans la Convention de Genève. Le demandeur d’asile doit prouver les persécutions dont il a été victime, ce qui est compliqué lorsqu’il s’agit par exemple d’un mariage forcé. La menace vient de la famille, des traditions : c’est assez difficile à prouver.

« Aujourd’hui, il y a du progrès, les demandeuses d’asile peuvent demander à être interrogées par une femme, mais ça reste insuffisant ».

Il y a aussi les femmes victimes de viols, qui n’osent tout simplement pas en parler à l’Office des étrangers lors de leur première demande, paralysées par le stress et la peur. Aujourd’hui, il y a du progrès, les demandeuses d’asile peuvent demander à être interrogées par une femme, mais ça reste insuffisant.

Enfin, une des spécificités des femmes est de voyager souvent avec leurs enfants. Ce qui rend les choses bien entendu encore plus compliquées pour effectuer les démarches administratives,  trouver un emploi, un logement, etc.

Quels seraient vos revendications pour un meilleur accueil des réfugiées ?

Aujourd’hui, au niveau institutionnel, il n’existe pas de mesures spécifiques, même si les associations de terrain font un boulot remarquable. Suite à la fermeture de places sous la précédente législature, les centres ouverts sont débordés et n’ont plus les moyens de mener un travail social approfondi en direction des femmes. Pourtant, elles ont réellement besoin d’un soutien et d’un accompagnement spécifiques.

« Il est temps que les demandes d’asile pour motifs sexistes soient mieux prises en compte ».

Je pense qu’il serait intéressant de proposer des lieux d’écoute, des centres de paroles pour les femmes, pour les aider à s’affirmer et à faire part de leurs opinions et besoins. On le voit ici, dans l’occupation de Burenville : il faut de longs mois, voire des années, avant que les femmes osent prendre la parole et exprimer leurs besoins. Aussi, ce serait intéressant que les travailleurs de l’Office des étrangers reçoivent une formation spécifique à l’accueil de ces femmes. Il est temps que les demandes d’asile pour motifs sexistes soient mieux prises en compte. Rappelons-nous de Semira Adamu, qui a été assassinée dans un avion lors de son rapatriement : elle avait fait une demande d’asile afin d’éviter un mariage forcé, et on ne l’a pas crue. Il y a encore beaucoup trop de femmes qui voient leur demande d’asile refusée dans des cas semblables.

Tags : immigration - réfugié - intersectionalité - stéréotypes - Politique