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La ménopause, une construction socioculturelle ?
par Isabelle Capiaux publié le 7 janvier 2019
La ménopause est une étape incontournable dans la vie d’une femme que chacune passe avec plus ou moins de bonheur et de facilité. Puberté, préménopause, périménopause, post-ménopause… La vie des femmes est rythmée par différentes étapes physiologiques et symboliques, construites par la médecine, les représentations sociales ou culturelles.
La ménopause est aujourd’hui souvent associée à la perte de ce que l’on considère comme la féminité et la jeunesse. Les représentations individuelles de la ménopause sont souvent construites dans les relations avec l’autre, auprès de sa/son gynécologue ou des femmes de son entourage, mère, sœurs, amies…Comprendre cela, appréhender ces changements hormonaux inévitables et ne pas avoir peur des bouleversements, petits ou grands, engendrés par ce passage, donne l’occasion de déconstruire les idées reçues et les raccourcis liés à cette étape naturelle de la vie.
La ménopause, cette inconnue
Inscrite dans les gènes, la ménopause est une étape physiologique naturelle et normale dans la vie d’une femme. Vers 51 ans en moyenne, le corps féminin arrête progressivement la production d’ovules et d’œstrogènes. Cette période de préménopause est marquée par un arrêt progressif des règles. La ménopause proprement dite est constatée après un an d’aménorrhée (arrêt complet des règles). La fin du cycle reproductif est une étape tout à fait naturelle. Pourtant, la ménopause est souvent perçue comme une maladie qu’il faut absolument traiter.
Le corps des femmes sous l’emprise de la médecine
Depuis la Deuxième Guerre mondiale, l’industrie pharmaceutique s’est fortement développée, avec comme corollaire la médicalisation des cycles féminins – grossesse, accouchement et ménopause – qui sont peu à peu considérés comme des maladies. Pour les entreprises pharmaceutiques, cette approche super médicalisée de la ménopause offre une source inépuisable de profits. Les femmes sont probablement influencées par cette médicalisation qui change la perception qu’elles ont de leur propre corps et de ses cycles naturels.
Suivi de la ménopause, deux approches bien distinctes
Pendant cette période, les femmes subissent souvent de nombreux changements de vie qui peuvent influencer leur sentiment de bien-être ou leurs malaises liés à la ménopause : crise des adolescent-e-s, enfants qui quittent la maison, aide aux parents âgés, difficultés dans le couple et divorce éventuel, départ à la retraite, deuils… Pour répondre aux changements physiques et psychologiques ainsi qu’aux éventuels malaises liés à la ménopause, deux approches se dégagent :
- L’approche biomédicale qui répond aux besoins et aux critères liés à la médicalisation, qui considère la ménopause comme une maladie de déficience endocrinienne ;
- L’approche socioculturelle qui considère que cette période est un événement naturel qui survient dans la vie de toutes les femmes.
Souvent perçue de manière négative, la ménopause est pourtant une étape incontournable dans la vie des femmes, qui doivent en même temps faire face aux pressions sociales pour rester « jeunes, belles et dynamiques… » tout en respectant leur corps, leurs désirs, leurs nouveaux rythmes, et la vieillesse qui pointe le bout de son nez.
(c) ARTEQuelles représentations de la ménopause chez les femmes ?
La ménopause est vécue différemment par chaque femme. La société dans laquelle elles vivent, avec ses normes sociales et ses attentes, influencent la vision positive ou négative qu’elles en auront. En Afrique et en Asie par exemple, les femmes vieillissantes sont souvent respectées et même reconnues comme « sages ». En Belgique, comme dans d’autres pays occidentaux, le discours médical – très largement relayé par les médias – est généralement négatif vis-à-vis de la ménopause, et la décrit comme une pathologie. Pour la sociologue française Cécile Charlap, la « pathologisation » normalise le parcours des femmes ménopausées et oriente négativement leur ressenti. On parle de déficience (carence hormonale, déficit ovarien), de symptômes (bouffées de chaleur, sécheresse vaginale), de risques (osseux ou cardiovasculaires) et de maladies (ostéoporose et cancers).
Une étude de la Société belge de la Ménopause publiée en 2014 montre d’ailleurs que presque 4 femmes sur 5 se plaignent de symptômes affectant leur qualité de vie : bouffées de chaleur, transpirations nocturnes, troubles urinaires, ostéoporose, perte de libido, troubles du sommeil, humeur dépressive… Pourtant, ce tableau de symptômes relèverait bel et bien d’une construction sociale. Une étude menée au Japon en 2013 par Margaret Lock montre que les femmes japonaises ne présentent pas les mêmes « symptômes » que les femmes occidentales. Elles se plaignent plutôt de raideur des épaules et de céphalées…
Perte de féminité et début de la vieillesse?
Autre représentation négative, la ménopause est aussi parfois vécue et surtout présentée comme une perte de la féminité, souvent liée à la fécondité. Ce discours social induit qu’une fois passées de l’autre côté du miroir, les femmes ménopausées, bouleversées physiquement et émotionnellement, n’ont plus rien à faire sur le marché de la féminité. Leurs rôles et leur valeur sociale changent, elles devraient devenir invisibles. Elles deviennent vieilles. Pourtant, la fin des règles peut être appréhendée comme une étape positive et la fin d’une corvée. La ménopause est alors vécue comme un phénomène naturel. L’arrêt de la fécondité permet aussi de vivre sa sexualité sans les risques et les contraintes liés à la grossesse.
Quoiqu’il en soit, chaque femme peut écouter son corps, définir ses propres besoins et choisir par elle-même quelle voie elle souhaite emprunter pour franchir cette étape de vie.Une construction médicale et occidentale
Dans son livre paru en 2007, le psychiatre et anthropologue Daniel Delanoë montre comment la médecine occidentale a créé la ménopause. Ce terme, inventé en Europe au XIXe siècle, a englobé arrêt des règles et de la fertilité, maladies physiques et mentales, ainsi que perte de statut. L’auteur a enquêté auprès de nombreuses femmes et propose trois pôles de représentations de la ménopause chez les femmes françaises : 39% sont négatives, 44% sont neutres et 17% sont positives.
- Les négatives (39%), regrettent la perte des règles et de la fécondité et ont le sentiment d’une forte perte de leur capital santé, mais aussi de leur valeur esthétique, symbolique et sociale.
- Pour les neutres (44%), cette période s’accompagne de peu de changements et leur santé n’est que peu affectée par cette période de transition.
- Pour les positives (17%), la ménopause apporte la libération, une forte satisfaction de l’arrêt des règles et de la fécondité. Elles ne rapportent aucun changement de leur capital santé et esthétique, elles font plutôt l’expérience d’un gain de capital symbolique…
Chaque femme peut être actrice de sa santé, y réfléchir et trouver les moyens de la préserver. L’espérance de vie d’une femme belge à la naissance est maintenant d’environ 85 ans. La période de sa ménopause occupe donc plus d’un tiers de sa vie. La diversité des représentations et des expériences féminines permet de se distancier du discours médiatique et social dominant. Une attitude sereine, une alimentation équilibrée et surtout une écoute de son corps et de ses besoins permettent de franchir ce cap sans trop de soucis, en laissant derrière soi le marketing des firmes pharmaceutiques et les représentations négatives de la vieillesse. Quoiqu’il en soit, chaque femme peut écouter son corps, définir ses propres besoins et choisir par elle-même quelle voie elle souhaite emprunter pour franchir cette étape de vie. En guise de conclusion, laissons parler Mimi Szyper et Catherine Markstein : « Chaque femme mérite de vivre à son rythme, de manière hétérogène, à sa façon unique, les réaménagements qu’elle sent dans son corps, et qui varient avec les cycles de la vie. Le nouveau statut hormonal participe aux transformations, à l’évolution, à la maturation qui s’opèrent dans la biographie de la femme, au mitan de sa vie. »
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