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Culture

LIVRE – A mains nues

par Eva Cottin publié le 27 mai 2020 (c) Amandine Dhée - La Contre Allée

Dans ces précédents ouvrages, Amandine Dhée retrace différents moments de son éducation, des instants, des phrases et des impressions qui ont modelé la personne qu’elle est (Et puis ça fait bête d’être triste en maillot de bain, 2013) et raconte ses questions autour de sa grossesse et de sa transformation en mère (La Femme Brouillon, 2017). Cette fois-ci, Amandine Dhée publie A mains nues, son septième livre paru à La Contre Allée, petite maison d’édition lilloise.

Avec une forme d’écriture qui transforme l’individuel en collectif et rappelle les écrits d’Annie Ernaux, l’autrice s’interroge sur le désir et le plaisir sexuels et propose ici un genre de fresque sociale, mosaïque des vécus des femmes de son milieu. Sans prétendre à l’universalité, elle permet, grâce à son style épuré, léger et parsemé de formules qui marquent, à chacune de se reconnaître en ses mots.

Le livre s’ouvre sur les confidences d’une amie qui vient de passer une nuit d’amour folle et intense avec son amante et se termine sur une vision positive, ouverte et apaisée de la vieillesse à venir – tout le temps de continuer à se découvrir, à aimer et à jouir. Introduction et conclusion positives et joyeuses, qui encadrent les nombreuses interrogations de la narratrice sur son désir, ses passions, son plaisir, et sur ce qu’il y a là au fond d’elle, hors des cadres et des conventions choisies ou subies. D’un chapitre à un autre, elle fait entrer en résonance son apprentissage progressif des codes de la séduction, de la sexualité et de l’amour, et ses réflexions d’adulte de 40 ans engagée dans les luttes féministes.

« J’obéis tellement moins qu’il y a quelques années. J’ai cessé de confondre mon désir avec celui des autres. Ce n’est pas toujours facile. J’ai tellement eu l’habitude de faire plaisir, de ne pas décevoir les attentes, de considérer ce qui serait moral… Il m’arrive encore de me noyer. J’ai besoin de m’arrêter quelques secondes et de me poser la question : qu’est-ce que tu veux, toi ? Je laisse alors retomber ce qui trouble mon eau et j’extirpe mon désir à mains nues. Je le défends. »

Amandine Dhée évoque progression et découvertes, depuis sa volonté, à la préadolescence, de se conformer et être comme les autres filles, jusqu’à l’avancement dans l’émancipation et les prises de conscience féministes. Elle parle de l’influence sociale et des résistances, depuis le groupe de filles vecteur de prescription d’une « féminité » normée et soumise, jusqu’au groupe de femmes où l’on se libère, se confie et se révolte. Le cheminement passe aussi par des espaces mixtes, le couple hétérosexuel, l’apprentissage de la famille, l’éducation de son petit garçon, les explorations hors de la binarité des genres, les visites chez la·le gynécologue, le choc du mouvement #metoo.

Traversant ces lieux, époques et contextes divers, Amandine Dhée questionne l’impact de son féminisme sur son imaginaire érotique, ses fantasmes, ses pratiques, sa jouissance. Elle met en avant différentes manières d’accéder à la libération, et à l’inverse, les multiples visages de la normativité et des tabous.

« Au moment où la tristesse pourrait m’anéantir, où elle me frôle de près, je choisis la colère pour reprendre des forces. (…) Cette colère hors de question que je la retourne contre moi une fois de plus, non, je vous la rends. »

Le couple monogame exclusif est-il une norme sociale conventionnelle et bourgeoise, ou bien une résistance à la culture ultra-libérale et de consommation, ou encore un besoin viscéral, pour elle qui a grandi sans stabilité familiale ? Fantasmer d’être dominée, est-ce le signe d’un imaginaire colonisé par le sexisme, ou une résistance au « sexe politiquement correct » ? Faut-il intellectualiser le désir, politiser les élans du corps ? Ce qu’elle perçoit comme sa « féminité », est-ce entièrement fabriqué par l’environnement social ? Que faire de la colère, quand on est une femme féministe qui désire les hommes ? Mais aussi, comment comprendre l’expérience des autres, qui vivent d’autres réalités, d’autres oppressions, qu’elle ne vit pas ? Pas de réponses à l’emporte-pièce, juste une ouverture des possibles sur nos désirs, notre vie affective, sexuelle, relationnelle. À remettre sans cesse tout en question, à envisager tous les angles et les coins d’une question, la narratrice espère offrir à soi et aux autres davantage de liberté, d’espaces de réinvention et de plaisir.

Tags : désir sexuel - livre - Critique - vie affective et sexuelle - Sexualité