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Malheur ! Je suis Noire et je ne veux pas d’enfants

par Tsippora publié le 15 juillet 2020 (c) vectorpocket

Être afropéenne et ne pas souhaiter avoir d’enfant, un sujet qui semble encore tabou. Et si on renversait quelques clichés ? Carte blanche d’une lectrice de Femmes Plurielles, autrice du blog et des podcasts Tant que je serai Noire.

Des childfree, il n'en court pas les rues !

Dans des sociétés où l’infertilité et les grossesses tardives sont devenues des sujets d’actualité, il existe aussi des femmes qui ne souhaitent pas avoir d’enfants. Aux États-Unis, elles se font appeler les childfree. En France, la part de la population qui ne souhaite pas avoir d’enfant demeure très faible, de l’ordre de 5% : 4,4% chez les femmes et 6,8% chez les hommes, selon une enquête de l’Ined de 2010. Autour de 5% pour les moins de 25 ans, le taux diminue à 2,5% chez les 30-34 ans et remonte à 7% pour les 40-49 ans.

Et le non-désir de maternité chez les femmes noires ? En tant qu’Afropéenne, je sais que dire ouvertement à sa famille qu’on ne veut pas d’enfant est tabou voire choquant ! Face à ce choix, les critiques et les arguments ne manquent pas.

« Mais t'en connais, toi, d'autres femmes noires qui ne veulent pas d'enfants ? Non, ben t'es trop bizarre ! »

En Belgique et en France, il manque énormément d’articles et témoignages sur les childfree noires. Outre-Atlantique, le sujet est un peu plus documenté, notamment grâce à la Dre. Kimya N. Dennis, sociologue et criminologue childfree africaine-américaine, qui a commencé à faire des interviews et des enquêtes lorsqu’elle s’est aperçue qu’aucune source n’abordait la question.

Cela s’explique entre autres car ce sujet reste fort tabou. Quand on est issue d’une double culture franco-africaine, avoir des enfants coule de source. Ne pas en avoir est un problème de santé, une malédiction, mais ne peut s’expliquer par un non-désir. Cette question ne se pose même pas.

Le non-désir d'enfants est un désir.

J’ai souvent entendu mes parents parler de tantes à l’étranger qui n’arrivaient pas à avoir d’enfants. Les conséquences se traduisaient par des divorces voire même par l’arrivée d’une co-épouse (Gosh !). En effet, dans la plupart des communautés africaines, l’incapacité de donner naissance à un enfant est sujet à la critique sociale.

« C'est par égoïsme que tu fais ça ! Une femme, de surcroît afrodescendante, ne peut pas rester sans enfant par choix. »

On résume souvent cela par de l’égoïsme. Peut-être parce que pour beaucoup, ne pas vouloir d’enfants s’explique par une volonté de rester seule et autonome, libre de ses mouvements et consacrer son temps à soi plutôt que de le sacrifier pour des enfants.

Pour ma part, je pourrais leur demander si avoir des enfants est bel et bien un acte généreux ? L’expression « donner la vie » nous le fait croire mais n’est-ce pas tout autant égoïste de mettre un être au monde pour ne pas être seule, lui transmettre ses gênes, lui inculquer ses valeurs ?  Cette transmission peut être faite auprès d’autres personnes et pas forcément à une personne issue de sa chair. De plus, on peut ne pas vouloir d’enfant et être hyper généreuse avec ses frères et sœurs, neveux et nièces, ami·e·s, collègues, stagiaires …

Le non-désir d’enfants est un désir, un choix et celui d’en avoir en reste un aussi.

« Tu dois fonder ta famille voyons, tu ne vas pas mourir seule ! »

J’ai une famille, des parents, des frères et soeurs. « Oui, mais non, je veux dire avoir ta propre famille. », pourrait-on me répondre. Mais c’est ma famille, bon Dieu ! Elle me suffit. J’ai ma vision de la famille, tu as la tienne, respecte-la.

Dans beaucoup d’ethnies africaines, avoir des enfants était et reste encore aujourd’hui un moyen d’assurer son avenir et de ne pas mourir seule. Peut-on transférer ce raisonnement au sein des communautés afropéennes ?

« Nan mais c'est sûrement la peur de l'accouchement et des violences obstétricales qui explique tout ça ! »

La tokophobie, vous en avez déjà entendu parler ? Il s’agit d’une phobie intense de la grossesse et de l’accouchement. Dans l’imaginaire des personnes atteintes de tokophobie, l’accouchement se passera mal, elles vont trop souffrir ou l’idée d’en mourir devient une obsession. À la lecture de cette définition, je l’affirme haut et fort : non je ne suis pas tokophobe, je veux juste rester sans enfant, pas d’excuses scientifiques !

« En tant qu'africaine, tu dois avoir un enfant car nos enfants meurent déjà beaucoup. Le combat racial prime sur ton pseudo #afroféminisme, #mybodymychoice. »

Aux USA, pour certain·e·s, avoir un enfant noir est un devoir car beaucoup trop d’enfants meurent, notamment à cause des « difficultés d’accès aux soins pour les femmes noires ». Aussi, en 1968, des hommes du Black Unity Party se déclaraient contre toute forme de contraception et par conséquent contre ce désir de non-enfant, disant à leurs Soeurs noires que prendre la pillule, c’était contribuer à leur propre génocide : « The Brothers are calling on the Sisters to not take the pill … To take the pill means that we are contributing to our own genocide … When we produce children, we are aiding in the revolution in the form of nation building. »

Je peux être une citoyenne active en m’engageant dans des associations, luttes, manifestations de ma communauté. Il y a d’autres moyens de contribuer au combat contre le racisme. Et enfin, je dis stop au patriarcat. Dans tout combat, j’estime que doit être inclue la liberté des femmes en matière de procréation.

Pour aller plus loinDécouvrez le podcast "Tant que je serai noire"L'interview par Les flux Tags : racisée - Noire - childfree - no kid - podcast - enfant - parentalité - Famille - Maternité