Société
Les femmes dans l’art
Plaidoyer pour l’humour (car vous me cassez les ovaires)
par Lola d’Estienne d’Orves publié le 4 septembre 2017
Qui n’a jamais vécu un diner de famille gênant ? Entre tonton Jean-Philippe qui balance des blagues sexistes en rafale et Papi qui ne comprend pas pourquoi toutes ces bonnes femmes ne peuvent pas simplement rester en cuisine et « arrêter de faire chier leur monde », on ne sort pas indemne d’une telle épreuve. Pourtant ce n’est « que de l’humour, rhoooo, faut rigoler un peu ! ». Il serait cependant naïf de croire qu’on est épargné quand on se retrouve enfin chez soi, emmailloté-e dans une couette pour mieux geeker* toute la nuit. Une fois Facebook ouvert, difficile d’échapper aux images pourtant si mignonnes qui véhiculent ces si adorables clichés sexistes #Nouléfilles et autres amalgames. Et oui ! Les discriminations genrées sont nombreuses dans le monde de la farce.
Cet article s’inspire de l’analyse « L’humour sur les femmes, sexiste ? » réalisée par Sandra Roubin en 2017 à consulter ici.
Quand l'humour sur les femmes est clairement sexiste

L’humour concernant les femmes est généralement de l’ordre du dénigrement et de la dévalorisation. En effet, en analysant un recueil de blagues, le chercheur Bouchard avait répertorié cinq catégories de ressorts comiques:
- Le manque d’intelligence (27%)
- Le mépris par association aux animaux (8%)
- Sexe/corps (30%)
- Travaux domestiques (4%)
- Banalisation de la violence ( 6%)
Autant dire que la majorité d’entre eux ne transmet pas une image très positive des femmes. On se retrouve donc le plus souvent confronté à de l’humour sexiste qui avilit, insulte, stéréotype, victimise et/ou objective les personnes sur base de leur genre en ciblant majoritairement les femmes (définition de Woodzicka et Ford dans leur article « A Framework for Thinking about the (not-so-funny) Effects of Sexist Humor »)
C’est pourtant ce type de blagues que l’on retrouve le plus quand on tape « humour » dans la page de recherche « images » de google :

Mais bien sûr, rien de grave, étant donné que c’est du « second degré ». Tout comme le lâcher de salopes de Bigard ou les plaisanteries de Cyril Hanouna, ils ne le pensent pas. En se comparant à Desproges et sa mythique phrase de « On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui » (qui est aujourd’hui utilisée à tort et à travers), ces individus cachent un sexisme ou des réflexions discriminatoires intériorisées.
En effet, une étude a démontré que les personnes qui détenaient un score élevé en sexisme étaient celles qui appréciaient le plus les blagues sexistes et percevaient moins le caractère dénigrant de la blague. Aussi car ce type d’humour se doit de faire passer un fond de vérité à leurs yeux. Comme le rappelle le blog egalitarisme.net dans son article L’humour est une arme « l’humour n’est pas une entité abstraite détachée de tout code social. L’humour s’inscrit dans une logique, dans des règles définies par un mode de pensée global ».
En bref, même sous couvert de second degré, ces blagues sexistes reflètent une culture offensive pour les femmes. Mais il serait bien trop simple de résumer l’humour sexiste à cette forme facilement reconnaissable.
© GingerForce (La fantastique (mais longue) vidéo de Ginger sur l'humour.)Et quand le sexisme se fait plus insidieux
En continuant de scroller allègrement sur votre fil d’actu, voilà que Micheline vous a taguée dans une vidéo à l’apparence choupi, accompagnée d’un commentaire style : hihi regarde c’est trop nous lol.
Nous les femmes ...
Opslået af Sympa på 15. juni 2016
Résultat : une pléthore de clichés illustrés sous forme ludique et mignonne. En se cachant derrière des représentations faussées qui ne semblent pas s’attaquer ouvertement aux femmes cet humour plus insidieux continue de renvoyer les individus à la place qui leur a été attribuée dans la société en fonction de leur genre, sans jamais la remettre en question.
C’est le classique #NouLéFilles, aussi déclinable en #NouLéMecs ou en #VouLéFilles, un agaçant syndrome de Stockholm, comme le désignait madmoizelle dans un article de 2014.
En gros, le genre de vidéos Facebook sur lesquelles vous pouvez tomber, avec une petite voix en fond qui dit « hihihi nous les filles on est tellement distraites et en même temps tellement mignonne, t’as vu j’ai laissé tomber mon pinceau de contouring quelle bêta hihihi saperlipopette ».
Des répercussions loin d'être anodines
On en vient à se demander : « mais en soi, ce n’est que de l’humour, pourquoi le prendre tant à cœur ? ». Peut-être parce que les répercussions sont réelles pour les personnes visées, et peuvent constituer un véritable harcèlement, qu’il s’agisse de remarques humoristiques sur le lieu de travail, ou d’une vidéo « code de meufs ».
Cet humour est néfaste. En s’amusant à entretenir la dépréciation des femmes, leur objectivation et une culture sexiste, on justifie un sexisme sociétal, qui exprime des croyances sexistes, et qui fait du mal aux femmes. Il a été prouvé que cette forme de harcèlement diminue le bien être psychologique et de satisfaction de vie.
Ensuite, il entretient aussi des clichés sur les hommes. En les opposant, en désignant l’homme comme l’alpha mâle dominant qui est incapable de se faire à manger sans tout casser et qui a un chibre à la place du cerveau, il ne fait que renforcer la dichotomie des rôles sociaux entre les sexes et les inégalités.
Enfin, en créant ces images, vidéos, remarques et blagues, on crée une barrière. Barrière au-delà de laquelle nous sommes dans un environnement sexiste et hostile. C’est une déclaration qui dit « oui, vous n’êtes pas nos égales ». La culture forge la société et l’humour en fait partie. Alors quand l’humour est sexiste, la société le reste.
Vers une mutation de l'humour ?

Heureusement, ces dernières années ont vu naître une nouvelle forme d’humour féministe, qui rencontre un franc succès. Il suffit de citer les hilarants dessins de « Sarah’s Scribbles », qui se sont sans doute déjà invités dans votre timeline :

Un humour qu’on retrouve aussi sur Youtube, avec l’indétrônable Natoo, Marion Séclin et bien d’autres :
© Natoo (Natoo déconstruit le cliché selon lequel les femmes n'auraient pas d'humour)© Madmoizelle (Combattre le harcèlement de rue à coup de chansons et d'humour, c'est possible !)Ce genre de blagues et sketches n’est pourtant pas neuf. Il y a une dizaine d’années, Florence Foresti nous gratifiait déjà d’un sketch aux vertus féministes, dénonçant le harcèlement au bureau avec beaucoup d’humour.
On pourrait citer encore bien des humoristes, comme Blanche Gardin, Shirley Souagnon, Claudia Tagbo, Anna Akana, Amy Schumer, Océanerosemarie ou Bérengère Krief qui sont aujourd’hui connues et reconnues, après avoir déjoué les clichés sexistes qui dominaient le milieu de l’humour.
© Florence Foresti (Le sketch de Florence Foresti sur le sexisme au travail)©Shirley SouagnonAu final, l’humour est un art qui mérite d’être façonné en étant inclusif et qui mérite de rire des sexistes plutôt que de rire en étant sexiste. Et ça, que vous le croyiez ou non, nous en sommes tout-e-s capables.
© Ted X (Le TedX de Polytechnique, avec Anne-Cécile Mailfert)
"L’humour est une arme" - Egalitarisme
Réflexions, “Quand le sexisme se veut bienveillant…”
Ces femmes qui font rire : du stéréotype féminin aux “nouvelles féminités” dans les talk-shows en France
A Framework for Thinking about the (not-so-funny) Effects of Sexist Humor (EN)
TURQUIE : LA CARICATURE AU SERVICE DE LA CAUSE FÉMINISTE - Gazette des Femmes