Militance
Réalité virtuelle et harcèlement de rue : Et si c’était toi ?
par Marie-Anaïs Simon publié le 16 novembre 2017
Et si c’était toi ? Et si tu étais assis-e tranquillement dans le métro et qu’une femme se faisait harceler juste devant toi ? Et si sur ton chemin vers la maison tu croisais une nana en train de se faire suivre ou insulter dans la rue ? Et si c’était toi qui décidais d’intervenir ? Maëlle, Élise, Séléna et Tiana travaillent sur un projet en réalité virtuelle pour poser toutes ces questions et donner les outils aux témoins pour réagir dans ces situations.
Il est 11h, Maëlle et Élise arrivent dans nos bureaux, un grand sourire aux lèvres, mais la mine fatiguée. La veille, c’était la journée de tournage de leur premier film en réalité virtuelle : elles sont satisfaites, fières du travail accompli et un peu épuisées. Au départ, « Et si c’était toi ? » c’est un projet qu’elles mènent avec deux autres étudiantes de l’IHECS, dans le cadre de leur mémoire de fin d’études. Aujourd’hui, c’est devenu bien plus que cela ! Cet outil pourrait vraiment changer la manière dont on réagit face à une scène de harcèlement. Elles viennent m’expliquer comment et me présenter leur projet. On s’installe au calme et on se lance dans l’interview. Les idées fusent dans tous les sens, on sent qu’elles travaillent sur le sujet depuis longtemps, on sent qu’elles sont passionnées !
Un plan d’action bien ficelé
« Ce projet permet de mettre les gens dans la peau d’un témoin pour que grâce au casque et à la réalité virtuelle, ils se sentent vraiment immergés »La spécificité de leur projet ? Utiliser la réalité virtuelle pour faire réfléchir les gens sur le rôle des témoins lors de situation de harcèlement de rue. Comme me l’explique Maëlle, « ce projet permet de mettre les gens dans la peau d’un témoin pour que grâce au casque et à la réalité virtuelle, ils se sentent vraiment immergés ».
La première étape de leur projet, c’est donc la réalisation de 3 courtes vidéos en réalité virtuelle. Ces capsules présentent des scènes de harcèlement avec une gradation dans l’implication de la personne qui regarde (allant de la non-réaction à l’intervention dans la scène). Maëlle précise, « à chaque fin de vidéo, il y aura une capsule d’un-e expert-e qui donnera des petits conseils et explications sur la scène qui vient d’être vécue pour donner les moyens de réagir». Pour diffuser ces vidéos, elles prévoient un happening dans les rues de Bruxelles où elles inviteront les gens à vivre une expérience en réalité virtuelle, sans leur dire sur quoi elle porte. « En effet, être témoin d’une scène de harcèlement, ça peut arriver n’importe quand et on n’est pas forcément préparé-e à ce genre de situations » explique Maëlle.
« On considère qu’on n’a pas toutes les clés en main, donc c’est bien aussi d’avoir l’avis des personnes, la manière dont elles ont réagi. On ne veut pas juste interroger des gens, on veut aussi qu’ils participent »Une deuxième étape permettra de pérenniser leur action. « On veut que ça puisse aussi être efficace sur le long terme et que ça devienne un outil que les gens peuvent facilement se réapproprier », développe Élise. « C’est pour cela que l’on veut créer une plateforme à côté où les gens retrouveront des témoignages de victimes ou de témoins, des analyses d’expert-e-s et plein de conseils pour réagir ». Ce site laissera aussi une grande place à l’interactivité. « On considère qu’on n’a pas toutes les clés en main, donc c’est bien aussi d’avoir l’avis des personnes, la manière dont elles ont réagi. On ne veut pas juste interroger des gens, on veut aussi qu’ils participent » ajoute-t-elle.
La troisième étape s’inscrit dans une véritable démarche éducative. Elles mèneront alors des ateliers pédagogiques avec des classes de rhéto ou de 5e année d’humanité. Maëlle mentionne sa rencontre avec le collectif Touche pas à ma pote qui anime déjà des ateliers dans les écoles. « On pourra probablement faire quelque chose avec elles. On veut vraiment créer un échange avec les jeunes sur ce qu’elles/eux en pensent ».
Le rôle du témoin dans les situations de harcèlement

Leur plan d’action semble déjà très construit. Je m’intéresse alors à l’origine de ce projet. Élise me raconte : « c’est Maëlle qui a lancé l’idée de faire un sujet féministe, puis elle a tellement bien défendu cela qu’on l’a toutes suivie ». Les quatre étudiantes ont alors décidé d’explorer une problématique qui les interpelle : le harcèlement de rue. Elles se sont renseignées sur les actions qui étaient menées autour de la thématique. « Au début, on a carrément failli changer de sujet parce qu’il y a déjà énormément de choses qui étaient faites là-dessus ». Maëlle explique que c’est alors qu’elles se sont rendu compte que l’on s’adressait rarement aux témoins. « En général, les campagnes se centrent plus sur la victime, elles proposent des solutions sur les manières de réagir si on subit ce harcèlement. On voulait inclure tout le monde, que toute la société puisse se sentir concernée lorsque cela arrive ». Elles ont alors décidé de travailler sur le rôle clé que peuvent jouer les témoins de ces situations.
Maëlle développe : « quand tu te fais agresser, tu es généralement en situation de peur et de panique, c’est plus difficile de réagir. Chez le témoin, cette sensation est moins forte, la personne est donc plus apte à intervenir. C’est important d’une part pour le soutien que cela apporte à la victime, et d’autre part parce qu’avec la loi en Belgique, avoir un témoin peut soutenir le dépôt d’une plainte ».
Avant de se lancer dans ce grand projet, les filles ont du faire des recherches pour essayer de comprendre pourquoi les gens ne réagissaient pas en cas de harcèlement. Elles ont ainsi pu explorer trois principales pistes : l’individualisme dans les grandes villes, l’effet témoin (plus il y a de monde, moins on va réagir) et la culture du viol. Ces trois causes interagissent entre elles. Ainsi comme l’explique Élise : « on ne peut pas dire que l’individualisme, c’est ce qui fait que les gens ne réagissent pas. Mais si tu couples cela notamment avec l’effet témoin, tu peux expliquer plus facilement la non-réactivité ».
Effet témoin :Dilution de la responsabilité entre les témoins d’une scène. Ceux-ci se disent que si personne n’intervient ils n’ont pas de raison d’intervenir, qu’ils interprètent peut-être mal la situation ou que ce ne doit pas être « si grave que ça ».
En plus de cela, vient donc s’ajouter la culture du viol et de sa banalisation. Une enquête Ipsos réalisée l’année dernière a montré que selon 40% des personnes interrogées considéraient que la responsabilité du violeur est atténuée si la victime avait eu « une attitude provocante en public » et 27% si elle portait une tenue sexy. Comme l’explique Maëlle, « au niveau de la politique, des médias, de l’éducation et sur pratiquement tous les points, on vit encore dans une société extrêmement patriarcale. Donc, si la victime adopte certains comportements on va encore avoir tendance à remettre la responsabilité sur elle. Dans le harcèlement de rue, on retrouve le même mécanisme ». On dira ainsi à une fille qui porte une robe « trop courte » qu’elle le cherchait surement un peu, que si elle veut être tranquille elle devrait se balader en jogging (ce qui est faux). Si le harcèlement de rue peut être justifié par l’attitude de la victime, pourquoi est-ce qu’on interviendrait ? Et puis finalement, le harcèlement de rue est-ce si grave que ça ? Ce sont toutes ces interrogations que leur projet tente aussi de déconstruire !
Des super-héro-ïne-s dans la ville
"Si tu réagis, tu peux devenir un-e super-héro-ïne pour quelqu’un "Pourtant, même en étant sensibilisé-e-s, on ne va pas toujours réagir. Parce qu’on ne sait pas interpréter les signes, parce qu’on ne connait pas les gens, qu’on est timide, qu’on ne veut pas se mêler, que cela nous effraie, qu’on a peur d’être ridicule ou d’intervenir et que cela ne serve à rien.
Maëlle précise le rôle de leur projet : « Nous ne sommes pas là pour diaboliser ça. On veut juste essayer de décrypter ce qui se passe et trouver des solutions pour que ça arrive moins. Du coup, on est parties sur la thématique des super-héro-ïne-s. Si tu réagis, tu peux devenir un-e super-héro-ïne pour quelqu’un ». Comme le résume ensuite Élise, leur but c’est de « valoriser l’action plutôt que diaboliser l’inaction ».
La réalité virtuelle, une mine d’or pédagogique

Pour mener à bien cette mission, Maëlle, Élise, Séléna et Tiana ont opté pour un atout de choix :la réalité virtuelle. Ce média est de plus en plus utilisé dans les démarches éducatives et pédagogiques. Contrairement aux vidéos traditionnelles où la/le spectatrice/teur est passif/ve, mis-e à distance (même s’il/elle peut être ému-e), la réalité virtuelle permet d’être véritablement immergé-e dans une scène. Élise raconte : « nous on l’a testé, on a expérimenté des vidéos filmées sur des montagnes russes et on ressent le même effet. On a beau savoir qu’on est assises sur une chaise dans une salle de classe, le cerveau ne comprend pas. Au niveau de ces sensations, c’est donc être super intéressant ». Elle m’explique également que cette technique est utilisée dans le milieu médical pour soigner les personnes atteintes de stress post-traumatiques, par exemple.
Pour leur projet, cela permet d’immerger pleinement les potentiels témoins dans la situation de telle sorte à ce qu’ils puissent comprendre la réaction qu’ils y adopteraient. C’est aussi une manière de parler aux jeunes en partant d’un truc qui les intéresse pour évoquer d’un problème de société.
"Pour moi, on n’arriverait jamais à mettre ça en place ! De voir que tout s’est bien passé, que tout a fonctionné hier, c’est vraiment chouette ! On fait partie des pionnières/ers"Pourtant, si l’utilisation de la réalité virtuelle fait partie intégrante de leur projet, quand elles ont proposé l’idée elles n’y croyaient pas trop. Maëlle confie : « On a sorti ça 5 minutes avant de présenter le projet devant les professeur-e-s. Elles/ils nous ont dit que ce serait vraiment génial et nous on a pensé : « on n’y arrivera jamais, ce n’est pas possible de faire un film en réalité virtuelle, on a totalement craqué ». Pour moi, on n’arriverait jamais à mettre ça en place ! De voir que tout s’est bien passé, que tout a fonctionné hier, c’est vraiment chouette ! On fait partie des pionnières/ers » !
Un crowdfounding pour soutenir leur projet

Pour financer ce projet, les quatre étudiantes ont lancé une campagne de crowdfounding. En effet, comme Élise nous le disait, « un projet en réalité virtuelle, c’est très cher, surtout comparé à un projet étudiant lambda ». Elles ont déjà gagné la bourse Sophie Soudant organisée par l’IHECS, la RTBF et RTL TVI notamment, mais celle-ci n’est pas suffisante.
Quels sont les frais ? Maëlle me répond :« Comme on veut avoir un beau produit fini, on préfère faire appel à des gens dont c’est le métier : un-e graphiste, des comédien-ne-s, un-e développeuse/eur, etc. Pour le happening aussi il y a des frais importants : l’achat de casques en réalité virtuelle, les écouteurs et la construction de cabines anti-bruits. Sans compter les ateliers pédagogiques qui nécessiteront également des investissements ».
Pour toutes les quatre, faire ce projet, c’est aussi d’une certaine manière agir pour la cause. Comme l’explique Élise « le but de notre outil c’est d’éveiller les consciences sur ce sujet. On se dit ça aura peut-être un impact sur les personnes que l’on aura touchées et ça, c’est très motivant aussi ! Se dire que ce n’est pas juste un projet d’école sur papier, mais que ça peut faire changer les choses concrètement ».
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