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Rencontre avec Aïchatou Ouattara, blogueuse afroféministe
par Marie-Anaïs Simon publié le 25 avril 2017
Elle s’appelle Aïchatou Ouattara, elle est juriste spécialisée en droit social et depuis presque trois ans, elle tient le blog afrofeminista.com. Témoignages, portraits, critiques littéraires et analyses se côtoient sur ce blog où elle s’exprime sans tabous sur les sujets féministes depuis sa propre perspective, c’est-à-dire en tant que femme noire. Rencontre avec cette afrofeministe aussi passionnée que passionnante.
Quelle est votre vision du féminisme ?
Depuis toujours, je me considère comme féministe même si je ne l’ai vraiment revendiqué que récemment. J’ai toujours été sensibilisée aux questions des droits des femmes. J’ai grandi ici en Belgique et quand j’entends les féministes occidentales belges avec leurs combats, j’ai beau les soutenir et les comprendre, il y a des revendications que je ne retrouve pas dedans. Ce sont des préoccupations qui sont les miennes et celles des femmes noires que je connais, de ma famille ou autres. Il faut savoir que nous vivons déjà une double discrimination parce que nous sommes des femmes, d’une part et d’autre part parce que nous sommes noires. Entre le racisme et le sexisme, il n’y a pas une oppression qui est plus importante que l’autre ! Et puis, il faut garder à l’esprit qu’il y a aussi toute une série d’autres oppressions qui peuvent se rajouter à cela : le handicap, l’orientation sexuelle, la religion, la classe sociale… C’est ce qu’on appelle l’intersectionnalité.
(Neon Mag en parle dans cet article)Pourquoi avez-vous décidé d’ouvrir ce blog ?
«On n’a pas besoin d’aide, on a besoin d’avoir des alliés pour lutter pour nos droits. Mais surtout, on n’a pas besoin qu’on nous dise ce qu’on doit faire ! »J’ai créé ce blog car je considérais qu’on ne donnait pas assez de place aux combats des femmes racisées en général, et des femmes noires en particulier. Il faut qu’on en parle plus ! Dans la société occidentale, ces femmes ne sont pratiquement pas visibles dans les médias, par exemple. C’est donc important de dire qu’on existe, qu’on a des voix qu’on veut faire entendre, qu’on a des vécus qui nous sont spécifiques que l’on voudrait que les gens prennent en compte. C’est aussi important pour nous que l’on sorte du stéréotype de « ces pauvres femmes d’Afrique dans des cultures barbares qu’il faut sauver». Parce que oui, il y a des situations que l’on ne peut pas nier, mais ce regard misérabiliste est improductif et stigmatisant. Il faut plutôt se dire que c’est à ces femmes-là de prendre leur destin en main à leur manière. On n’a pas besoin d’aide, on a besoin d’avoir des alliés pour lutter pour nos droits. Mais surtout, on n’a pas besoin qu’on nous dise ce qu’on doit faire !
Comment cet afroféminisme est-il reçu ?
« Je pense qu’il faut dépasser la question de savoir si le féminisme vient d’Europe ou non pour se demander plutôt si le féminisme c’est nécessaire aujourd’hui. Et quand on voit la situation des femmes sur le continent africain, pour moi, le féminisme c’est la seule solution ! »Dans les diasporas noires et en Afrique, le féminisme est souvent vu comme quelque chose de très occidental qui n’aurait pas sa place sur le continent. C’est aussi pour cela que j’ai créé ce blog, parce que moi, c’est une chose avec laquelle je ne suis pas du tout d’accord. Même si les mouvements féministes revendiqués en tant que tels (et donc le terme « féministe ») sont nés dans les années 60 en Europe et aux Etats-Unis, ce n’est pas une lutte qui est propre à l’Occident. Dans l’histoire de l’Afrique, on a toujours eu des femmes de tête, des femmes de pouvoir, qui ont su s’imposer et se battre pour leurs droits. Par ailleurs, je pense qu’il faut dépasser la question de savoir si le féminisme vient d’Europe ou non pour se demander plutôt si le féminisme c’est nécessaire aujourd’hui. Et quand on voit la situation des femmes sur le continent africain, pour moi, le féminisme c’est la seule solution ! A partir du moment où il y a des questions d’excision, de propriété foncière auxquelles certaines femmes n’ont pas droit, de mariages forcés ou de sous-représentations politiques, un mouvement qui lutte pour l’égalité des droits me paraît indispensable.
Quels sont les sujets que vous développez dans votre blog ?
Le premier article que j’ai écrit, et qui est un peu l’article fondateur de mon blog, c’était justement « Le féminisme a-t-il sa raison d’être en Afrique Subsaharienne ?» J’y proposais un état des lieux tout en déconstruisant l’idée selon laquelle le féminisme serait quelque chose de spécifiquement occidental.

J’ai organisé mon blog selon différentes rubriques : témoignages, santé, littérature, etc. J’y traite de sujets qui touchent les femmes noires et qui sont oubliés par les autres médias. Par exemple, j’ai écrit un article sur le tabou de la dépression chez les femmes afrodescendantes, un autre sur l’importance de la dépénalisation de l’avortement en Afrique, une critique littéraire sur « Celles qui attendent » de Fatou Diome en abordant la situation des femmes de migrants. J’ai également relayé des témoignages sur l’expérience du colorisme (hiérarchisation en fonction de la couleur de peau au sein de la communauté noire) et sur la discrimination scolaire, entre autres.
« Tout au long de mes articles je veux aussi rappeler que l’on doit s’affirmer et être fières de ce que l’on est ».Dans tous mes articles, j’essaie toujours d’apporter une perspective féministe et de montrer comment les femmes noires peuvent s’auto-déterminer ou s’émanciper de certains carcans traditionnels ou parfois de certaines idées qui nous ont été transmises dans notre culture et dans notre éducation. Il ne s’agit bien sûr pas de critiquer les cultures africaines, mais bien d’avoir un regard critique. Par ailleurs, tout au long de mes articles je veux aussi rappeler que l’on doit s’affirmer et être fières de ce que l’on est.
Sur votre blog, on retrouve aussi beaucoup de portraits de femmes, pourquoi est-ce important pour vous?

J’ai écrit beaucoup de ces portraits dans le cadre du « Blackhistorymonth » (mois de l’histoire des Noirs qui se déroule tout au long du mois de février aux USA et au Canada). J’aime beaucoup l’histoire et, quelque part, l’envie de mettre en avant des femmes africaines et afrodescendantes fortes a aussi fondé mon envie d’ouvrir mon blog. Ayant grandi ici, je n’avais pas beaucoup de connaissances de l’histoire de l’Afrique puisque j’avais étudié l’histoire de l’Europe à l’école. Quand j’ai commencé à m’y intéresser à l’âge adulte, j’ai constaté que toutes les grandes figures importantes étaient masculines : des rois, des empereurs, etc. À l’époque, je n’étais pas encore très « déconstruite » donc je ne me suis pas posé la question de savoir pourquoi il n’y avait pas de femmes. Et puis, un jour j’ai découvert l’ouvrage « Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire » d’une historienne française d’origine antillaise qui s’appelle Sylvia Serbin. Ce livre m’a vraiment bouleversée, j’ai découvert des choses importantes : des figures de femmes noires qui étaient des résistantes, des combattantes et des guerrières dont je n’avais jamais entendu parler. C’est vraiment important pour notre développement de jeunes femmes noires, de savoir que nos aïeules ont été capables d’accomplir des grandes choses, de s’illustrer et d’apporter des changements importants dans notre société.
Quel impact espérez-vous avoir avec ce blog ?
Je veux que les gens se questionnent sur l’afroféminisme. En effet, je pense qu’en tant que femmes, nous perpétuons aussi le sexisme dans la société, sans même nous en rendre compte. Nous sommes tellement aliénées par ce que l’on vit dans notre société patriarcale, que même nos mères nous ont souvent, d’une certaine manière, éduquées de cette façon. Ce qui fait, qu’il y a des choses sur lesquelles on ne s’interroge pas. Et moi, j’ai envie que mes articles, en plus d’apprendre des choses aux gens, les amènent à voir les choses différemment. Je n’ai pas l’intention de les faire changer d’avis, mais plutôt d’ouvrir le débat et d’apporter ma petite contribution. J’ai envie que mon blog puisse donner l’impulsion à des femmes pour commencer ce combat et pour ouvrir la voie. C’est important pour moi de pousser les femmes à parler, il y en a beaucoup qui pensent énormément de choses mais qui ne les disent pas. Ce n’est pas facile parce que parfois on se fait critiquer à l’intérieur de nos propres communautés. Le féminisme n’est pas le plus populaire des combat, même s’il est primordial.
"J’ai envie que mes articles, en plus d’apprendre des choses aux gens, les amènent à voir les choses différemment. Je n’ai pas l’intention de les faire changer d’avis, mais plutôt d’ouvrir le débat et d’apporter ma petite contribution. J’ai envie que mon blog puisse donner l’impulsion à des femmes pour commencer ce combat et pour ouvrir la voie."Aïchatou Ouattara
Ce blog, c’est votre voix mais pas uniquement. Vous partagez beaucoup de témoignages et de contributions. Pourquoi ?
« Donner la parole à d’autres femmes c’est un des éléments les plus importants dans mon blog, selon moi, parce que ça enrichit le débat, on a des expériences en commun mais on est très diverses et cette diversité est très importante aussi. Il n’y a pas une femme noire mais bien des femmes noires ! »Les expériences des femmes afrodescendantes sont multidimensionnelles, on n’a pas toutes les mêmes vécus, ni les mêmes trajectoires. Dans mon blog, j’ai donc aussi voulu donner la parole aux premières concernées grâce à ces témoignages. Dans un article « Féministes d’Afrique de la dénonciation à la déconstruction ? » j’ai interrogé ces femmes bloggeuses et activistes africaines qui se disent féministes pour qu’elles nous racontent ce que c’est que d’être activiste des droits de femmes quand on vit sur le continent africain, avec toutes ces discriminations. Donner la parole à d’autres femmes c’est un des éléments les plus importants dans mon blog, selon moi, parce que ça enrichit le débat, on a des expériences en commun mais on est très diverses et cette diversité est très importante aussi. Il n’y a pas une femme noire mais bien des femmes noires !
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